Par Françoise Guichard, présidente de Reconstruire l’école
Cette chronique — dont le titre constitue un petit clin d’oeil aux vieux lecteurs de L’Huma qui se souviennent avec émotion du billet d’André Wurmser – se propose de suivre l’actualité de l’Ecole, avec plus ou moins de régularité sans doute, ne serait-ce qu’en fonction des événements. Tout en étant fidèle aux principes qui font la spécificité de Reconstruire l’Ecole, elle n’a pas la prétention de refléter systématiquement tout le point de vue de l’association, mais aussi de poser des questions et d’ouvrir, s’il le faut, des débats.
(Note de la gestionnaire lors de la vérification du fichier, le 3 juin 2015 : la plupart des liens ont disparu ; eux aussi.)
Lise Bonnafous, juste avant l’oubli
Il y a des textes dont on se demande si on va les écrire, et j’ai longtemps hésité, avant de me risquer, moi aussi, à parler de ce qui a été, à bien des égards, l’événement le plus traumatisant de cet automne qui en a pourtant compté beaucoup. A priori , j’envisageais de consacrer ce petit éditorial aux compétences – aaaaah, les fameuses compétences, du socle et d’ailleurs… — puis, vu que Reconstruire l’Ecole s’est toujours clairement positionné dans le camp de la laïcité, à Charlie-Hebdo, et au scandaleux attentat dont il a été victime. Finalement, j’ai choisi de parler de Lise Bonnafous, après beaucoup de gens, bien des commentaires sur les blogs, les sites et les réseaux sociaux (par exemple, sur Mediapart, l’article « Education: tu enseigneras dans la douleur »…) et nombre de réactions,
– « Elle s’appelait Lise » sur le site de Sauver les Lettres,
– « En mémoire de Lise, sur le blog de J.P. Brighelli,
– « Je l’ai fait pour vous », un texte magnifique écrit par une collègue nancéienne »,
syndicales passim, dont un beau texte de Madame Mazeron, porte-parole du SNALC, au Conseil Supérieur de l’Education le 4 novembre dernier. Oui, parler de Lise, non pour rajouter de la glose à la glose et du chagrin au chagrin, mais parce que le temps médiatique passe si vite qu’au bout de quelques semaines on a la terrible impression que notre infortunée collègue s’est sacrifiée, et de la plus terrible des manières, pour pas grand-chose. Circulez, y’a plus rien à voir désormais : juste un petit tas de cendres au coin de nos mémoires. Et puis, hier, sur la toile, je suis tombée sur ça : http://ketamine.over-blog.com/article-news-from-hell-88298258.html, et je me suis dit que ce serait une erreur, et même une faute, que de ne pas diffuser, le plus amplement possible, cet accablant témoignage. Je vous demande de le lire, sans vous obnubiler sur les fautes d’orthographe de ce texte manifestement écrit par une jeune femme au bout du rouleau, prise en tenaille entre des adolescents manifestement incontrôlables et une administration au mieux débordée, au pire incompétente, — et qui, avec l’humour du désespoir, tente de rendre compte de ce que l’on peut, effectivement, appeler « Hell » : l’Enfer. Comment en est-on arrivé à ce qu’il faut bien appeler un système devenu fou, où tout le monde, professeurs et élèves, est en souffrance, et qui produit, dans l’indifférence la plus totale, des générations d’élèves illettrés, inéduqués, sans la moindre notion des limites, jetés devant des enseignants peu ou mal formés, abandonnés, méprisés, livrés à eux-mêmes et ne pouvant compter que fort peu sur leur administration ? Quand on lit les propositions pour l’Ecole du Parti Socialiste ou celles de l’UMP , on est frappé par le décalage, pour ne pas dire l’abîme, entre ces programmes et les réalités du terrain. En quoi le « socle commun » et « l’aide individualisée » peuvent-ils constituer une réponse pertinente à l’échec scolaire massif d’adolescents qui ont perdu toute appétence au savoir ? Que l’on m’explique en quoi l’autonomie des établissements et le recrutement des professeurs par les proviseurs ou les principaux peut remettre les SAVOIRS au centre de l’Ecole … Comment peut-on envisager d’augmenter le temps de service de personnels d’ores et déjà épuisés, envoyés sans protection en première ligne sur le front du malheur social, sauf à décider qu’on les jettera comme des kleenex quand ils ne seront plus bons à rien, à moins qu’auparavant, un soir de solitude, dans le huis clos de leur salle de bains, ils n’aient rencontré la boîte de somnifère fatale qui les libèrera de l’Enfer scolaire quotidien – ou que, comme Lise Bonnafous, ils n’aient craqué l’allumette de trop ? Pourquoi aucune, je dis bien aucune de ces propositions ne pose-t-elle le problème de fond, qui est celui de « redonner du sens » à l’Ecole, non pas au sens des khuistreries pseudo-pédagogiques, encore moins par des mesures cosmétiques destinées à amuser la galerie (comprendre : les géniteurs d’apprenants de la FCPE et de la PEEP, deux figures du même fléau), mais en lui rendant la mission qu’elle n’aurait jamais dû perdre, celle d’instruire la jeunesse selon des méthodes efficaces et dans le cadre de programmes nationaux exigeants ? Car le système désespère, non seulement des enfants ou des adolescents qui, n’apprenant plus rien, ne comprennent plus ce qu’ils viennent faire à l’Ecole, mais des enseignants qui, ne pouvant plus exercer leur métier qui est de transmettre des savoirs, ont eux aussi l’impression de ne plus servir à rien. Il ne faudrait pas que Lise Bonnafous soit la première d’un cortège de suicidés qui, comme à France-Télécom, finiraient par interpeller, mais trop tard, les Olympiens qui nous gouvernent ou entendent nous gouverner. Il ne faudrait pas que nos collègues, jeunes et moins jeunes, abandonnés par une institution qui n’a même pas la reconnaissance du ventre, choisissent la pire des protestations, la plus spectaculaire, la plus tragique, celle de se supprimer. Il ne faudrait pas que la mort de Lise ait été inutile.