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Par Françoise Guichard, présidente de Reconstruire l’école

Cette chronique  —  dont le titre constitue un petit clin d’oeil aux vieux lecteurs de L’Huma qui se souviennent avec émotion du billet d’André Wurmser – se propose de suivre l’actualité de l’Ecole, avec plus ou moins de régularité sans doute, ne serait-ce qu’en fonction des événements. Tout en étant fidèle aux principes qui font la spécificité de Reconstruire l’Ecole,  elle n’a pas la prétention de refléter systématiquement tout le point de vue de l’association, mais aussi de poser des questions et d’ouvrir, s’il le faut, des débats.

La recette de l’eau tiède

Au cas où les lecteurs n’auraient pas bien saisi la portée de cet intoléraaaable scandale, La Pravda Le Monde enfonce le clou : « La formation la mieux encadrée, la plus onéreuse par étudiant pour l’État, celle qui ouvre les portes des très grandes écoles et, du même coup, les postes les plus en vue du pays est gratuite. Aucun droit d’inscription n’est demandé aux étudiants en classe préparatoire aux grandes écoles, quand l’inscrit à l’université s’acquitte de 181 euros. » On n’en attendait pas moins de ce journal, qui, après le désolant article de Madame Desplechin sur l’enfer des prépas poursuit obstinément, sans dévier de son sillon, sa campagne de dénigrement des CPGE. Le seul problème, c’est que depuis plusieurs lurettes les étudiants de prépa, et particulièrement les littéraires, s’inscrivent à l’Université en début d’année, et paient, précisément, quelques centaines d’euros pour des cours auxquels, et pour cause, ils n’assisteront pas, puisqu’ils seront, au même moment, en train de gratter dans leur salle d’hypokhâgne ou de khâgne. J’irais même jusqu’à dire que l’hypokhâgneux ou le khâgneux représente, quelque part, l’étudiant idéal pour l’Université : il ne vient ni en cours ni aux partiels, et on n’a même pas à le former ! Tout juste lui délivrera-t-on, et parfois en barguignant, une « dispense » en fin de première et de deuxième année (ce que l’on appelait autrefois « équivalence »), afin de l’autoriser à poursuivre le cursus LMD. Par ailleurs, « l’entourage » de Mme Fioraso, s’il s’était documenté, aurait découvert que les CPGE sont loin d’être un ghetto de riches. Pour en rester à un établissement que je connais bien, le mien, on y trouve cette année en lettres sup plus de 50% de boursiers, et plus de 33% en maths-sup. Et en ce qui concerne « l’équité », le SNES-FSU a réalisé une petite étude, fort édifiante, quant au coût des concours : un véritable racket sur les étudiants de prépa scientifique ! (Voir http://www.snes.edu/La-gratuite-en-prepa-un-leurre.htm) Adoncques : si « l’entourage » de la ministre avait consenti à se renseigner un tant soit peu, il se serait évité de dire une kh ânerie. Il se serait également évité un rétropédalage dont nos nouveaux princes semblent décidément avoir le secret : « Ce sera plutôt une double inscription », déclarait en effet quelques heures plus tard Mme Fioraso sur les ondes d’une radio périphérique (Voir http://www.europe1.fr/France/Prepas-plutot-une-double-inscription-1242411/) C’est-à-dire EXACTEMENT ce qui se fait depuis des années !!!! En somme, not’ minisse découvre l’eau tiède et le fil à couper le beurre. Loin de moi l’idée de médire, oeuf corse, mais je note que c’est très très « socialo » comme cheminement conceptuel : on commence par tonitruer des proclamations vertueuses et/ou incendiaires contre d’inacceptables « privilèges », pour finalement, sous couvert de changement-c’est-maintenant, rester dans le statu quo — ce qui vaut mieux que de faire des bêtises, je vous l’accorde, mais le cumul n’est pas interdit. Quitte à me répéter (mais « la redondance est pédagogique », comme disait Mme Ayme, ma géniale professeur de philo en KH), je remarque qu’il est plus facile aux crânes d’oeuf qui nous gouvernent de taxer les taupins et les khâgneux que de lutter contre les superprofits, l’évasion fiscale, les licenciements boursiers, les délocalisations, ou que de mettre en place les fameux 75% — d’autant que c’est tellement chic, de taper sur les CPGE, ça fait « de gôche », ça fait Bourdieu (que de crimes on commet en son nom !) , quôa… Si l’on avait voulu vraiment réfléchir sur les prépas, au lieu de les « stigmatiser » (verbe à la mode, qui m’insupporte parce qu’il est utilisé à toutes les sauces, et que j’emploie à dessein), on aurait mieux fait de se demander pourquoi moins en moins d’élèves issus de la classe ouvrière, du monde rural ou de l’immigration, y ont accès. Où sont les Senghor et les Césaire d’aujourd’hui ? Un de mes anciens étudiants (bonjour, Vincent !), jeune agrégé d’histoire enseignant en banlieue parisienne, me fait observer que, « (par) exemple (à) La Courneuve, les élèves ne connaissent quasiment personne qui fasse des études supérieures dans leur entourage. Personne pour les y inciter. Aucune connaissance d’une voie aussi royale que la prépa. Et le sentiment terrible, et peut être vrai, de s’y trouver en parfait intrus. »
Et ce jeune homme, brillant enseignant tout dévoué à ses élèves, de conclure avec une mélancolie qui m’interpelle, moi son ancien professeur : « Tout cela pour dire que la fréquentation du 93 me fait très mal à la République, et qu’il est évident pour moi que, mécaniquement, un fils d’immigré dont les parents ne sont pas francophones (et parfois illettrés), pas insérés et en grande précarité, n’ira pas en prépa. Même s’il est doué. Pas besoin de ne pas le recruter, ses propres conditions d’existence l’ont déjà exclu du recrutement. » On ne saurait mieux dire : si l’on veut en haut lieu une véritable ouverture sociale en CPGE, ce sont les CONDITIONS D’EXISTENCE de ces lycéens et de leurs parents, en amont, qu’il faut améliorer et rendre dignes, au lieu de taxer encore un peu plus des préparationnaires qui, de toute façon, paient déjà – parfois beaucoup – et sont loin d’être tous des fils de riches ! Mais, sans aller jusqu’à employer de grands mots comme « Révolution », s’attaquer aux conditions d’existence des « Misérables » d’aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile, et bien plus dangereux, que de dénigrer les CPGE… N’attendant pas grand-chose du Parti Socialiste, je ne peux pas dire que je sois le moins du monde « déçue ». Mais je demeure tout de même rêveuse, et un peu désolée, devant une telle conjonction d’amateurisme, d’incompétence et de prétention jalouse — pour tout dire de BETISE au sens flaubertien du terme. Personne n’a à y gagner, et surtout pas l’École !