Par Françoise Guichard, présidente de Reconstruire l’école

Cette chronique  —  dont le titre constitue un petit clin d’oeil aux vieux lecteurs de L’Huma qui se souviennent avec émotion du billet d’André Wurmser – se propose de suivre l’actualité de l’Ecole, avec plus ou moins de régularité sans doute, ne serait-ce qu’en fonction des événements. Tout en étant fidèle aux principes qui font la spécificité de Reconstruire l’Ecole,  elle n’a pas la prétention de refléter systématiquement tout le point de vue de l’association, mais aussi de poser des questions et d’ouvrir, s’il le faut, des débats.

De la suppression des notes à l’école, et autres coquecigrues

Ce matin sur France-Inter, la radio de référence, « Service public » proposait un débat – enfin, un débat, c’est vite dit, puisque les points de vue n’étaient en aucun cas contradictoires, à propos de la nécessaire suppression des notes à l’école. D’un côté un psychanalyste, Serge Hefez, que l’on connut plus inspiré, de l’autre Pierre Merle, sociologue de l’éducation dans je ne sais plus quel IUFM. Plus une enseignante rochelaise, qui pratique le « sans notes », afin de donner un petit côté « laissons la parole au terrain » indispensable dans ces cas-là. Mais de véritable confrontation, point : une touchante unanimité pour déplorer tout le mal fait par les notes, une « passion française », sale manie de professeurs sadiques, acharnés à accabler, brimer et classer les chères têtes blondes dès leur plus jeune âge. J’exagère à peine. Si cette merveille vous a échappé, il vous est peut-être encore possible de « podcaster » l’émission, comme il ne faut pas dire, sur http://www.franceinter.fr/emission-service-public-les-notes-a-l-ecole-une-passion-francaise. Surtout, ne pas lire les commentaires de la rubrique « réagir », sinon vous vous retirez directement chez les Trappistes, faute d’avoir trouvé la corde de bonne dimension et un arbre assez solide à proximité… Bref : pour celles et ceux qui n’ont pas le courage (pour ne pas dire le masochisme) de s’infliger une telle épreuve, disons qu’il plut en quelques minutes tellement de poncifs que c’en avait quelque chose de fascinant, — comme le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, dont je me dis souvent que ce grand homme, s’il était encore en vie, tomberait littéralement en extase devant les tombereaux de niaiseries proférées par des personnes qui se prétendent spécialistes en matière d’éducation. « Les évaluations c’est traumatisant », « sans notes, les enfants sont épanouis et moins stressés », « nous avons appris à nager et faire du vélo sans notes, donc on peut les supprimer », « un enfant qui reçoit de mauvaises notes travaille de plus en plus mal, pour se conformer à la taule qu’il reçoit », « les classements humilient les élèves », et patin et couffin, comme disait ma grand-mère. Rien ne nous fut épargné. Un seul point positif tout de même, pour être honnête, dans la bouche de Pierre Merle, la défense du bac en tant qu’examen anonyme et national, — mais pour de mauvaises raisons : il permettrait d’obtenir de meilleurs pourcentages qu’un contrôle continu, forcément entaché par la subjectivité de ces ânes de professeurs, qui valorisent les filles aux dépens des garçons, les bourgeois aux dépens des prolos, les enfants sages aux dépens des casse-pieds et les jeunots à ceux des redoublants. Vraiment, ma bonne dame, on se demande à qui on confie nos rejetons. Le pompon – mais « plus le mensonge est gros, plus il passe » : la notation résulterait d’un lobby des entreprises qui veulent formater les élèves en les conditionnant comme de futurs salariés … Ou comment distordre complètement la réalité pour la faire entrer dans la thèse : comme si le terme « compétences » ne venait pas du vocabulaire managérial, tout comme le « socle commun » était défini en fonction de critères relevant davantage de l’employabilité que de la culture humaniste ! Et toute la réflexion des évaluateurs se base sur les tests de comparaison européens PISA, directement issus de l’OCDE. Il faut donc comprendre : l’évaluation, c’est le bien (sauf celle du ministre de droite, naturellement, qui est un truc fascistoïde, réducteur et discriminant), et la note, c’est le mal. Ce qui me sidère enfin, à entendre toutes ces kh… sottises, c’est qu’on n’y envisage jamais qu’un enseignant est un VRAI professionnel de l’éducation, pas un dilettante qui corrige « à l’espère » et comme d’autres peignent la girafe. Rien à propos des APPRECIATIONS portées sur les khopies, et qui sont au moins aussi importantes que la note, sinon plus. Personne ne met un 4 (ni même un 15) tout sec, que je sache ! De même, j’aimerais que l’on me présente UN enseignant, juste un, tout petit, de primaire, de collège, ou même de lycée (à l’exception des CPGE) qui classe encore aujourd’hui ses élèves — et je me teins illico en blonde platine ;-). Une telle méconnaissance de la réalité des classes a quelque chose d’hallucinant. On a envie de dire à ces braves gens : « Mais venez donc dans une école, un collège, un lycée, voyez comment travaillent les collègues, avant de disserter gravement sur n’importe quoi ! ». Mais, comme disait Fontenelle, autre grand homme : « On commença par faire des livres, et puis on consulta l’orfèvre ». Deux points pour conclure : une véritable réflexion sur l’évaluation par compétences s’impose, et mérite que nous nous donnions sous peu les moyens d’ouvrir le débat là-dessus de manière sérieuse – et moins ironique que je ne le fais aujourd’hui, sous le coup de la colère.