Auteurs : Emmanuel Brenner, Arlette Corvarola, Sophie Ferhadjian, Elise Jacquard, Barbara Lefebvre, Iannis Roder, Marie Zeitgeber et d’autres professeurs de collège et de lycée.
Titre : Les territoires perdus de la République, antisémitisme, racisme et sexisme et milieu scolaire.
Editions Mille et une Nuits, Paris, septembre 2002, 238 pages, 12 euros
Voici un ouvrage que tous nos collègues devraient lire, y compris ceux qui ne sont pas concernés par les problèmes qui y sont mentionnés. Voilà déjà quelque temps que commençaient à filtrer des témoignages inquiétants de collègues faisant état non seulement de revendications particularistes découlant de l’irrespect des règles laïques. Revendications débouchant sur diverses contestations d’ordre culturel, religieux : ayant constaté la faiblesse de l’Etat face aux voiles islamiques, d’autres se sont engouffrés dans la brèche. La coexistence dans un même établissement scolaire d’enfants ou d’adolescents de dizaines de nationalités, souvent en conflit à l’étranger, n’est pas forcément pacifique. C’est à l’institution scolaire, émanation de l’Etat de dire que la loi de la République laïque est la loi, la seule valable sur le territoire, dans l’espace scolaire, et qu’elle ne saurait être transgressée. Faute d’avoir été répété, le message n’a pas été entendu…sauf par les électeurs de l’extrême droite.
Mais certains partis n’ont toujours pas saisi les raisons de l’électrochoc électoral du printemps dernier.
Tout part de bonnes intentions, lesquelles entraînent immanquablement des catastrophes. Petit florilège :
- – le droit à la différence…qui devient la différence des droits.
- – l’abandon de l’assimilation (faire apprendre à l’école élémentaire les langues et cultures d’origine aux enfants au lieu de mettre l’accent sur l’étude du français) avec l’idée que la culture française est aliénante et opprimante pour les immigrés (comme si on demandait à ces derniers de tout oublier de leur passé !!!)
- – l’idée que les immigrés issus de notre ancien empire colonial sont avant tout et pour toujours des victimes (même s’ils sont nés après 1962…) et qu’on leur doit en permanence réparation. Ce qui débouche sur :
- – l’idée que leurs enfants ont plus de difficultés scolaires et que l’école doit les traiter différemment. Seraient-ils moins intelligents, moins capables ? Certes non ! Mais si on suit bien le discours de certains de nos sociologues « officiels » ou du moins auto-érigés en spécialistes de la pédagogie (ou plutôt du pédagogisme…), on voit bien le mépris qui se cache derrière leurs discours qui nous répètent jusqu’à ce que nous en ayons la nausée que nous sommes coupables, que nos collèges, nos lycées sont trop élitistes pour ces élèves là. Qui dénoncera ce scandale et osera affirmer haut et fort que si certains enfants d’immigrés échouent, ce n’est pas à cause du prétendu élitisme de nos écoles mais bien parce qu’ils ne travaillent pas, et parce que certains parents ont du mal à leur faire sentir la nécessité impérative de l’instruction.
- – l’idée que la France doit quelque chose à l’islam : on cède donc sur tout et on ne fait pas de vagues de peur de paraître raciste !!
- – la prééminence du tout culturel, de l’ethnique, du relativisme, la mise en exergue de la prétendue « culture de banlieue » au détriment de l’importance de la citoyenneté qui doit primer. La nouvelle culture est celle de la bande !
- – l’abandon de l’idée de nation (il faut maintenant avoir honte d’être français, c’est à la mode), de respect de la loi, de respect d’autrui.
- – les excuses perpétuelles invoquées par les sociologues, pour justifier les entorses à la loi et à la laïcité : port du voile, mariages forcés des jeunes filles, délinquance, intégrisme religieux (quel qu’il soit)…
– bref, l’encouragement permanent au communautarisme et l’oubli que dans notre France laïque, on est citoyen d’abord et que les particularismes de tous ordres sont secondaires.
Cet étalage de bons sentiments, de culpabilité post-coloniale, ce tiers-mondisme bêlant, ce politiquement et ce pédagogiquement corrects ont fait des ravages qu’il est à présent difficile de réparer.
Où en sommes nous ?
Lors de notre dernière commission civisme, une collègue enseignant dans un collège de Charleville-Mézières nous a fait part de propos antisémites tenus par certains élèves, qui d’ailleurs n’avaient jamais vu un Juif de leur vie. Je fais encore partie de ces privilégiés qui peuvent enseigner le nazisme sans s’entendre répondre par des élèves d’origine maghrébine, qu’ « Hitler n’a pas terminé son travail » . Je peux enseigner l’Affaire Dreyfus sans entendre dans la classe : « Encore une histoire de Juif ! ». Je peux emmener mes élèves de toutes origines à Drancy, voir une synagogue, visiter le Musée du Judaïsme dans le cadre d’une préparation à la visite du camp d’Auschwitz-Birkenau, rencontrer d’anciens déportés sans me heurter à des manifestations antisémites.
A la lecture de l’ouvrage d’Emmanuel Brenner, et des collègues (qui pour une partie d’entre eux ont eu le courage supplémentaire de témoigner sans pseudonyme), on éprouve de la colère, de l’angoisse et du dégoût. L’ouvrage est un concentré de toute la haine et de la violence qui suintent et explosent dans une partie des établissements scolaires de la région parisienne. Oh pas tous ! il ne s’agit pas de généraliser. Mais il y en a suffisamment pour qu’on s’en préoccupe. Et on aimerait bien entendre nos habituels bien-pensants d’ordinaire si prompts à nous faire la leçon…Mais curieusement, silence. Et un silence assourdissant…Pourquoi ? Parce que cette haine et ces actes de violence visent les élèves juifs, les surveillants juifs les professeurs juifs ! Gare à celle ou à celui qui n’a pas dit qu’il l’était parce qu’il ne s’en préoccupait pas…Une fois la faute découverte, tout le monde le sait : comment, un juif une juive ? Et tous de se ruer sur ces « Youpins » qui sont automatiquement assimilés à des massacreurs de Palestiniens ! Oui, j’emploie des termes choquants. Mais c’est de cela dont il s’agit ! On reproche parfois (et dans certains cas à juste titre) à une frange de la population juive de se ghettoïser (les orthodoxes par exemple). Mais est-il tolérable que des élèves dont les parents (pratiquants ou non, là n’est nullement la question) ont opté pour l’école publique soient contraints de changer de collège ou de s’inscrire dans un établissement privé juif parce qu’ils sont systématiquement agressés ? L’école publique n’est-elle plus capable d’assurer la sécurité des élèves, quelle que soit leur confession ? Dans un collège de Sarcelles, il a failli, il y quelques semaines, y avoir un lynchage : pratiquement tous les élèves (plus de quarante nationalités différentes) tous ligués contre un seul élève, un juif.
Pourquoi ce silence ? Mais parce que ces agressions émanent souvent d’élèves d’origine maghrébine et qu’ils n’ont aucun complexe à afficher leur antisémitisme. Mais que dis-je là ? Je critique des élèves maghrébins ? Je suis donc une infâme raciste…Eh bien non ! S’ils étaient visés, j’aurais exactement la même réaction. Mais on ne peut pas à la fois stigmatiser le racisme anti-maghrébin, lutter contre ses manifestations et autoriser le racisme et l’antisémitisme affichés par des élèves maghrébins dans l’espace scolaire. Bon nombre de ces élèves sont de nationalité française. Et c’est encore plus grave. Si nous en sommes là, c’est le résultat d’une faillite qui remonte à plusieurs années et dont une partie des causes a été énoncée plus haut. Ce serait faire preuve de maturité que de se rendre compte qu’on peut être maghrébin et être raciste et antisémite. Sans faire de généralisation non plus. Mais cela, certains ne veulent pas l’entendre tellement cela remet en cause les fondements de leurs discours !
Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on peut décréter la disparition de la fièvre.
Aujourd’hui, les cours d’histoire sont ouvertement contestés : la Shoah devient une invention de sionistes. Nous enseignants sommes bien mal informés ! Heureusement, les élèves eux, savent ! Certains ont lu Garaudy. Ou plutôt, on a dû leur en parler. Certaines chaînes de télévision du monde arabe qui arrivent grâce aux paraboles sont très instructives. Dans certaines banlieues les résultats des prêches de certains imams intégristes sont catastrophiques : des adolescents qui ne connaissent rien à la religion sont réislamisés par des salafistes, par des membres du Tabligh. Si ces mouvements se bornaient à de la bigoterie musulmane ! Mais ils diffusent un discours de non intégration accompagné de propos antisémites. Message reçu.
Il ne faut pas faire de vague. Ce n‘est pas grave. Eh bien, si. Cet antisémitisme en milieu scolaire doit être vigoureusement dénoncé. Messieurs les Ministres en charge de l’Education, les Doyens, les Inspecteurs, les Recteurs, les Proviseurs, les Principaux, nous aimerions vous entendre. Messieurs les Recteurs des mosquées : nous ne vous entendons pas condamner. Nous le regrettons.
Toute agression qui vise, chez un élève, la religion (ou son absence), la couleur de la peau, l’origine ethnique et même le niveau social est intolérable. L’insulte est devenue une norme de langage, des mots banalisés parce que non combattus, parce qu’on ne veut plus prendre le temps de reprendre les élèves qui ont un vocabulaire intolérable. L’insulte raciste est devenue monnaie courante sans que les élèves aient même parfois conscience de la gravité de leurs propos: Sale Arabe, Sale Noir, Sale Juif…et tant d’autres. Nous avons là une responsabilité de chaque jour. Hier encore, un élève extrêmement gentil de ma classe de Première ES s’adresse à un camarade en le traitant de « bâtard ». J’interviens. Il me rétorque que ce n’est pas méchant. Je persévère et lui explique que désormais je vais m’adresser à eux en les appelant « connard » et « pétasse ». Là, on comprend mieux. Il s’excuse.
Pourquoi cette anecdote ?
Parce que le livre aborde aussi le problème sans cesse grandissant du sexisme en milieu scolaire : réflexions, bousculades, agressions verbales et sexuelles, attouchements, viols en réunions…Jusqu’où faudra-t-il aller ? Dans le Nord, une jeune fille victime d’un viol en réunion est poursuivie de la vindicte des amis des violeurs. Elle devra sans doute déménager une deuxième fois. Là aussi, il semble qu’on ne pourrait pas assurer sa sécurité dans le nouveau collège ! La victime est obligée de céder devant l’agresseur.
Nos élèves deviennent le produit d’une société où l’éducation sexuelle se fait par le film porno. Quelle image ont-ils de la femme ? Celle d’une « chienne », d’une « pute » qui crie et qui dit toujours oui. La publicité a une large part de responsabilité. Sans être pudibonde, faut-il systématiquement une femme nue pour vendre quelque chose ?
Les parents doivent reprendre en main l’éducation qui part à la dérive. Les filles des banlieues ont peur des garçons : déguisées en sacs, niant toute féminité pour ne pas être agressées. Insultées, traitées de tous les noms. Le machisme est de retour. On recule. Ce qui n’est pas acceptable dans les quartiers de banlieue ne l’est pas plus dans l’espace scolaire qui doit protéger les enfants.
A quand des actions concrètes au lieu des habituels grands discours ? Nous faisons en classe, ce que nous avons à faire (et même plus, sans recevoir la moindre reconnaissance). Nous attendons un signal fort de l’Etat.