Proposition de loi d’orientation portant création de l’école fondamentale démocratique et moderne présentée par le groupe communiste à l’Assemblée nationale.
PRÉSENTATION DE PIERRE JUQUIN
ÉDITIONS SOCIALES
146, rue du Fg-Poissonnière, Paris (10e)
Service de vente : 24, rue Racine, Paris (6e)
Achevé d’imprimer le 20 novembre 1973 sur les presses de l’imprimerie L. P.-F. L. Danel ; Loos (Nord). N° d’édition : 1487
Dépôt légal 8338 ; 4e trimestre 1973
Imprimé en France
Table des matières
UNE AUTRE ECOLE
Proposition de loi
TITRE I, Principes et objectifs généraux de la réforme démocratique
TITRE II, Obligation, gratuité, mesures sociales
TITRE III, Organisation du service public et nationalisation
TITRE IV, Ecole maternelle
TITRE V, Tronc commun de l’école fondamentale
TITRE VI, Cycle terminal du second degré
TITRE VII, Orientation, carte scolaire
TITRE VIII, Education des enfants handicapés et inadaptés
TITRE IX, Formation des maîtres de l’école fondamentale
TITRE X, Rénovation pédagogique
TITRE XI, Enseignement supérieur
TITRE XII, Formation permanente
L’éducation est une grande question nationale et populaire. Ce petit livre s’adresse à tous ceux, parents, jeunes, et, bien sûr, enseignants et autres spécialistes, qui s’intéressent au rôle social de l’école et aux moyens de la démocratiser.
Il propose la plus importante réforme de l’enseignement que la France ait accomplie depuis Jules Ferry. A notre époque, une telle réforme aura une portée encore plus grande.
La machine scolaire et universitaire est compliquée. Cela favorise toutes les légendes : celles qui font de l’école un dieu comme celles qui en font un diable. Cela favorise les pratiques réactionnaires.
Ce livre voudrait aller au fond des choses : ce n’est pas si difficile. Chacun peut comprendre l’école, pourvu qu’il ne la considère pas en soi, isolée de la vie sociale, de l’économie et de la politique générale.
L’école ne peut être réduite à un budget, à des structures, à la pédagogie ou à tel autre aspect. Pour maîtriser les informations qui nous parviennent à son sujet, pour en dominer les « secrets », nous avons besoin d’une vue d’ensemble : les éléments techniques de l’école s’organisent, avec des caractères particuliers à cette institution, en fonction du régime social, économique, politique du pays. Telle société, telle école.
La société de classe engendre une école de classe. L’école française actuelle est en crise, parce que la société capitaliste, dans laquelle vit encore la France, est en crise.
L’enseignement est devenu une pièce maîtresse dans le dossier d’accusation que tous ceux qui créent, produisent, étudient, peuvent dresser contre le capitalisme. Notre pays ne peut plus supporter ce gâchis, qui constitue l’un des plus graves scandales produits par le régime de l’argent-roi, par le système du profit.
La nouvelle politique de l’Éducation nationale que nous proposons ne se conçoit pas sans la mise en oeuvre des moyens nécessaires, sans une politique économique et sociale extrêmement nouvelle. Elle exige aussi le développement de la démocratie dans la vie politique, dans l’information, dans la culture. La réelle participation démocratique des travailleurs, des citoyens à la gestion et à la direction des affaires en tout domaine est source d’éducation ; en même temps, l’éducation et l’information sont indispensables à l’essor de cette participation. C’est pourquoi la réforme démocratique de l’Éducation nationale ne peut être conçue comme une entreprise singulière, isolée : elle ne se fera que dans le contexte d’un changement démocratique d’ensemble.
Avant d’examiner cette réforme, considérons brièvement la situation actuelle.
L’école devrait être une garantie et un espoir pour les familles, les jeunes, la nation. Mais elle est devenue, en France, un sujet d’alarmes.
Désarroi, anxiété, malaise… Beaucoup d’élèves s’ennuient ou s’insurgent, les parents s’inquiètent, les enseignants souffrent.
Ce « malaise » vécu par les intéressés et répercuté dans toute la population n’est que le trait le plus lisible d’un état maladif de l’école, non le mal foncier d’où cet état provient.
Quand 450 000 élèves redoublent au moins une classe à l’école primaire et débutent ainsi sur un échec ; quand des centaines de milliers d’adolescents de chaque classe d’âge entrent dans la vie d’adultes sans culture ni métier; quand 75 à 80 pour 100 d’étudiants n’atteignent pas la fin du deuxième cycle universitaire ; quand la volonté d’apprendre des enfants issus des classes sociales les plus exploitées, les efforts et les sacrifices de leurs parents et le dévouement de leurs maîtres achoppent sur une élimination systématique; quand l’éducation prépare de moins en moins à la vie – un seul diagnostic devient possible : l’école est malade du régime, malade d’une société en crise, dont elle aggrave en retour la maladie.
Des réformes ont été, il est vrai, inévitables. Tous les pays capitalistes ont dû procéder à des adaptations de l’école.
Après avoir tergiversé et pris du retard, le capitalisme français n’a pu échapper à toutes les pressions du réel en mouvement.
L’idée qu’il faut développer l’éducation sur des bases nouvelles a grandi chez les Français. Jamais ils n’ont discuté aussi nombreux, ni avec autant de passion, des problèmes d’éducation. Au prix de luttes bien conduites, enseignants, parents, jeunes empêchent des dégradations et obtiennent des améliorations. Combien d’écoles ne seraient jamais sorties de terre sans leurs efforts opiniâtres, sans le soutien et les initiatives des grandes organisations de la classe ouvrière, des municipalités démocratiques ! Combien de modifications utiles dans les structures ou les programmes, de progrès pédagogiques résultent de leurs débats et de leurs combats, de leurs recherches et de leurs propositions !
En livrant la lutte de classe sur ce terrain et en y imposant des concessions au pouvoir du grand capital, le mouvement ouvrier et démocratique s’affirme comme le porteur des intérêts d’avenir de la nation. Les acquis de 1968 en sont un exemple.
La production appelle de plus en plus une formation scientifique large et profonde des travailleurs, elle exige qu’ils soient préparés à comprendre et à dominer l’économie. Toute société doit désormais compter avec le vieillissement accéléré du savoir et du savoir-faire. A notre époque, beaucoup de machines et de techniques se périment en peu d’années, des branches entières doivent se renouveler, certaines naissent, d’autres disparaissent. Si le capitalisme n’essayait pas de s’adapter aux nécessités nouvelles, il accepterait de disparaître sans se défendre. D’autant qu’il est confronté à ces phénomènes au moment où il subit la compétition avec les pays socialistes.
Là non plus il n’est pas pleinement maître du jeu.
Les intentions générales de la politique scolaire du régime sont claires, même si les réalisations semblent souvent décousues. Des documents comme le Ve Plan ou le VIe Plan ne laissent aucun doute à ce sujet. Sans parler des « plans généraux d’action » confidentiels du ministère, dont nous avons révélé l’existence et le contenu, le 5 juin 1973, à l’Assemblée nationale.
Quatre lignes de force principales orientent cette politique concertée et cohérente :
– faire supporter le plus possible les dépenses d’éducation par les travailleurs et les familles ;
– perpétuer envers et contre tout les inégalités sociales ;
– produire le minimum de cadres qualifiés en fonction de besoins calculés au plus juste et conserver une masse non qualifiée, la grandeur déterminante étant l’accumulation du capital ;
– utiliser l’école pour inculquer aux jeunes, aux travailleurs des idées d’acceptation ou de résignation, voire de coopération avec leurs exploiteurs.
… Et faire tout cela en évitant les explosions politiques graves.
Réformer pour conserver, voilà tout le programmer des puissances d’argent et de leur État. Mais cela heurte de front les besoins de la société moderne d’où la crise.
La crise n’est pas un mal passager. On ne saurait dire de l’école française comme d’une adolescente en pleine croissance : « Elle fait sa crise. » Sous-entendu : elle en sortira bien d’elle-même, au bout d’un certain temps.
Le grand capital veut conserver ce qui est pour lui l’essentiel – c’est-à-dire le système de l’exploitation pour le profit. Il est contraint pour ce faire de modifier quelque chose, mais limite tout changement à ce qu’il juge utile pour que cet « essentiel » continue.
Quand le monde évolue vite, que les masses accentuent leur combat pour une vie humaine et libre, que la compétition mondiale avec le socialisme s’intensifie, le capitalisme ne recèle plus la possibilité de transformations positives importantes. Jusqu’à notre époque il a trouvé des ressources pour évoluer et s’adapter, il a ainsi franchi des étapes, il s’est transformé en restant lui-même : aujourd’hui, le capitalisme obéit aux mêmes mécanismes fondamentaux qu’au temps de Marx, mais il a changé sur beaucoup de points. Or, à sa phase actuelle, le capitalisme a atteint, en France, les limites d’une évolution selon ses propres lois. Il ne comporte pas de solution interne aux problèmes importants. Il entre violemment en conflit avec tous les problèmes décisifs posés par la poursuite de la civilisation.
Il existe, en effet, des problèmes de civilisation : énergie, matières premières, alimentation, pollution, vie dans les villes, éducation… Nous ne sommes pas de ceux qui prônent une régression, le refus du progrès, l’arrêt du développement scientifique et technique. Les grands problèmes sont solubles, mais non dans le système capitaliste. Leur solution complète exige que la société se libère du capitalisme pour construire un système nouveau, c’est-à-dire le socialisme.
Pour résoudre les grands problèmes, pour tirer l’école de la crise, la société française dans son ensemble doit trouver des réponses nouvelles. Il lui faut rompre avec le pouvoir qui est celui de l’argent et mettre le cap sur des transformations de base.
L’Éducation nationale offre maints exemples des limites de l’adaptation capitaliste.
Les réformes scolaires particulières se succèdent : toutes ont pour but de réaliser les objectifs généraux du pouvoir. Chaque année le ministre lance une sorte d’opération-miracle, sans hésiter parfois à décrier le travail de son prédécesseur. Il y a eu les « classes de transition », le « tiers-temps pédagogique ». Voici, en 1973, les 10 % d’option sur les programmes du second degré. Beaucoup de ces réformes partielles croupissent; les plus fragiles pourrissent rapidement.
Il y a trois ou quatre ans les « sections d’éducation professionnelles » (S.E.P.) et les « classes pratiques »des C.E.S. furent présentées comme des remèdes alors que nous les combattions. Aujourd’hui, à cause de leur faillite, elles sont officiellement abandonnées. Mais que pourront bien apporter les « classes pré-professionnelles de niveau » (c’est le jargon ministériel) qui les remplacent en partie, avec des moyens, des objectifs et un contexte analogues ?
Le « tiers-temps pédagogique » est une innovation utile. Sans lui attribuer des vertus excessives, nous l’avons soutenu. Mais la politique actuelle en empêche presque complètement l’application. Le mot lui-même est en voie d’extinction.
Un nouvel enseignement des mathématiques était indispensable : sur le conseil de l’Association des professeurs de mathématiques, le Parti communiste l’a préconisé dès le début de 1967. Mais à peine introduit, cet enseignement connaît des difficultés, parce qu’il s’insère comme un corps étranger dans un système inadapté, qu’il n’a pas été lié à une réforme d’ensemble de la culture et que sa mise en oeuvre manque des moyens nécessaires.
La tempête de mai 1968 a arraché des masques figés. Des conquêtes l’ont suivie. Mais rien n’est résolu. Dans ce régime, les réformes sont et seront de plus en plus limitées, ambiguës, instables, parce qu’elles portent en elles les limites, l’ambiguïté, l’instabilité du capitalisme.
Depuis 1958, le budget de l’Éducation nationale s’est accru. Le nombre des enseignants a quadruplé. La scolarité a été prolongée pour tous, en principe, jusqu’à seize ans. Le total des étudiants dépasse un demi-million. Des établissements de type nouveau ont été créés. Les travailleurs ont obtenu des droits pour la formation permanente.
Mais le régime n’a pas de quoi pavoiser.
La France est loin de la tête. Plusieurs pays, même de dimensions plus petites, la précèdent en matière d’éducation. Encore ne parlons-nous que des pays capitalistes ! En ce domaine tous les pays socialistes affichent des réussites nettement supérieures au point de vue quantitatif et qualitatif.
Trop cher ! Tel est le leitmotiv qui revient sans cesse dans les travaux ministériels. Un porte-parole du gouvernement, M. Jean Charbonnel, a annoncé, en 1969, que l’État allait freiner pendant dix ans la croissance du budget de l’Éducation nationale.
En moyenne, depuis dix ans, les moyens supplémentaires dégagés chaque année pour financer des mesures nouvelles n’ont pas dépassé 4 % du budget de l’Éducation nationale. Par rapport aux besoins réels de notre temps, c’est une misère.
Aucun Plan n’a été réalisé à plus de 80 % en matière d’éducation. Et pourtant l’évaluation de chaque Plan a été inférieure aux besoins. Cette misère est un facteur de la crise.
En mai 1973, le ministre de l’Éducation nationale a reçu une lettre dans laquelle l’un des plus éminents physiciens français lui rappelait que le ministère avait pris des crédits destinés à la recherche scientifique pour construire quelques collèges. Mais la recherche est en péril de mort, et l’on continue à manquer de collèges. Voilà en raccourci l’image de la politique gouvernementale. Où cette politique conduit-elle la France ? Les économies d’aujourd’hui – que le gouvernement ne fait pas, d’ailleurs, sur les armes atomiques – signifient la pénurie pour demain. Le régime coupe l’arbre en se hâtant de dérober le fruit.
Le capitalisme a pour loi d’accumuler le plus de capitaux, et au plus vite. Tout y commence et tout y finit par l’argent. La règle d’or du capitaliste est d’obtenir à l’arrivée un capital A’ plus grand que le capital A de départ. A’ plus grand que A : telle est la formule vitale du système. Elle ne peut être appliquée qu’au prix de mesures inhumaines : l’une d’entre elles consiste à comprimer toutes les dépenses sociales.
D’un côté, les industriels sont obligés de développer quelque peu l’éducation pour que leurs usines soient compétitives et produisent des profits ; mais ils ne peuvent employer assez de fonds à cette tâche éducative, parce que les gros investissements qu’elle exige réduiraient, au moins à court terme, l’accumulation de capital qui est leur but suprême.
– Mais, dites-vous, c’est contradictoire.
– Exactement. Bien que notre démonstration soit très simplifiée, elle dévoile l’une des contradictions qui minent le capitalisme. Le système de l’accumulation du capital scie inévitablement les branches sur lesquelles il repose, et toute la société en souffre. Au contraire, dès lors que les critères principaux de décision ne seront plus quantitatifs, mais qualitatifs, dès lors que la règle ne consistera plus à accumuler du capital, mais à satisfaire les besoins humains, tout différera dans le principe : la société aura besoin de produire plus et mieux en allégeant la peine des travailleurs, donc en élevant leur éducation. La loi de l’économie et la loi de la culture iront dans le même sens, au lieu de s’opposer. Dans une société socialiste, l’éducation élève la production et la production stimule l’éducation.
Devons-nous citer un exemple de l’avarice fondamentale du capitalisme ?
Voyons la nationalisation des C.E.S.
Lors de l’institution de ces établissements, en 1963, le gouvernement s’était engagé à les créer toujours sous forme nationalisée, c’est-à-dire que l’État devait prendre en charge l’essentiel des frais de fonctionnement. Cette promesse fut tenue pendant trois ans.
A partir de 1966, tous les C.E.S. furent créés sous régime municipal : le pouvoir imposa alors aux communes une période d’un an à leur charge. Les maires la comprirent comme une période maxima, mais M. Giscard d’Estaing la définit très vite comme une période minima.
En conséquence, en 1973, deux C.E.S. sur trois et plus de neuf C.E.G. sur dix ne sont pas nationalisés, et leur fonctionnement repose sur les impôts communaux. Dans certaines petites communes ces frais représentent jusqu’à 50 % de la cote mobilière payée par les habitants.
Telle est la politique qui consiste à transférer les charges de l’État sur les communes. Les contribuables sont arrivés à un point de surcharge tel qu’il n’est plus possible d’augmenter les impôts locaux. Dans le système actuel des finances, c’est à l’État de payer, non aux communes.
Considérons la gratuité de l’école.
A l’époque où il dirigeait le ministère de l’Éducation nationale, M. Olivier Guichard résumait en ces termes la philosophie du VIe Plan :
« En ce qui concerne les familles, il n’est pas invraisemblable de penser que leur participation aux dépenses d’enseignement puisse s’accroître… Il ne serait pas anormal que l’enseignement, qui fait l’objet d’une forte demande de la part des familles, fût mis en compétition avec d’autres produits, peut-être moins nécessaires. »
Ainsi, l’éducation ne serait qu’un bien de consommation comme un autre, et les familles ouvrières devraient choisir entre la machine à laver, les vacances ou le maintien des enfants au C.E.S.!
De fait, l’école coûte beaucoup plus cher qu’autrefois. Jamais la prolongation de la scolarité n’aurait dû se faire sans généralisation de la gratuité. Les collèges techniques sont les plus onéreux, ce qui revient, par suite de l’inégalité sociale dans l’orientation des jeunes, à imposer les études les plus chères aux familles les plus pauvres.
Au Journal officiel du 18 décembre 1972, M. Joseph Fontanet, ministre de ]’Éducation nationale, indiquait à un député :
« Il n’est pas envisagé pour l’instant d’étendre à seize ans le principe de la fourniture gratuite des livres et matériels scolaires. »
C’est la ligne du VIe Plan.
Or, quelques jours plus tard, le premier ministre, M. Pierre Messmer, promettait la gratuité des fournitures et des transports scolaires dans le discours électoral qu’il devait tenir à Provins pour gagner une partie de l’opinion contre le programme commun de la gauche.
En réalité, le plan gouvernemental est simple : les experts ministériels ont déjà chiffré dans le détail l’économie que représenterait la suppression des bourses à tous les élèves des C.E.S. d’ici à 1978 en contrepartie de la gratuité des fournitures et des transports.
Nous contestons le système actuel des bourses pour son injustice et pour son insuffisance. Mais leur suppression sans remplacement par une aide améliorée aux familles maintiendrait, voire aggraverait l’inégalité des chances : elle est inacceptable.
A la naissance d’un enfant les parents se demandent « Que deviendra-t-il ? » Parviendra-t-il à franchir les multiples barrières, les aiguillages compliqués ? Accédera-t-il à la culture ? Aura-t-il un bon métier ? Sera-t-il quelqu’un duquel on pourra dire, comme le voulait le poète Paul Eluard, « un homme quelque métier qu’il fasse » ?
Les chances de l’enfant – son « espérance d’enseignement » – varient au moins de 1 à 80 selon qu’il naît dans une famille d’ouvriers ou dans la grande bourgeoisie.
L’école française, comme celle de tous les pays capitalistes, possède un énorme pouvoir de blocage des capacités humaines. L’inégalité sociale la domine.
Sur 1 000 jeunes issus de la catégorie des cadres supérieurs et des professions libérales, 570 fréquentent les universités.
Sur 1 000 jeunes provenant de la classe ouvrière, 34 y parviennent.
Entre ces extrêmes se situent les « catégories » intermédiaires : 141 enfants d’employés sur 1000 ; 300 enfants de cadres moyens (En pourcentage : 57%, 30%, 14,1%, 3,4%. Tous les chiffres cités proviennent de sources gouvernementales). Les enfants d’agriculteurs sont à peine plus favorisés que ceux des ouvriers.
Cette inégalité dans l’enseignement supérieur résulte d’une cascade d’éliminations depuis le début de la scolarité.
Elle apparaît dès l’école primaire, et même dès l’école maternelle. A la sortie des cinq premières classes, les élèves sont triés d’une façon presque irrémédiable. Pour la majorité d’entre eux, l’entrée en sixième est un terrible arrêt, un blocage définitif de leur vie.
Le gouvernement a divisé les C.E.S. en trois « tubes » : sixième I, sixième II et. sixième III. Sauf exception, seuls les élèves qui entrent en sixième I ont une chance d’atteindre le lycée.
Le gouvernement a déterminé d’avance, par circulaire, que 40% des élèves – pas un de plus – sont capables d’aller en sixième I, 40 % en sixième II, les autres en sixième III. 60% doivent, dès onze ans, faire leur deuil du baccalauréat et de l’enseignement supérieur. Comme si, au moment de sauter à l’eau, les 100 passagers d’un bateau n’avaient de canots que pour 40 personnes.
Beaucoup de rescapés ont un simple sursis. De nombreux élèves entrés en sixièmes I ou II quitteront ces voies au cours des années suivantes. Certains feront naufrage en arrivant au port.
Les « tubes » des C.E.S. ont un coefficient d’étanchéité très élevé. La quasi-totalité des élèves entrés en classe de « transition » (sixième III) achèvera sa scolarité dans cette filière. En moyenne nationale, 1,5 % de la classe d’âge est réorienté d’une « sixième de transition » vers une autre classe. Sans parler de tous ceux qui sont, eux, réorientés en sens inverse.
Sur quelles bases les élèves sont-ils ainsi, dès leur jeune âge, orientés ?
Les préposés ministériels aux relations publiques prennent le masque de la vertu : « Nous envoyons, disent-ils, dans chaque type de sixième les élèves les mieux doués pour les suivre. » Faudrait-il croire, à la lecture des statistiques relatives à l’enseignement supérieur, que l’intelligence est de naissance, par nature, « supérieure » chez les enfants de cadres supérieurs, « moyenne » dans la progéniture des cadres moyens, presque nulle chez les descendants d’ouvriers ? Confortant le bon sens, les sciences humaines opposent aux faux théoriciens des démentis sérieux.
En vérité l’école confirme, en les reproduisant, toutes les inégalités de la société actuelle. La cause principale des échecs scolaires ne réside ni dans les élèves ni dans les maîtres ni dans les parents, mais bien dans les conditions où ils sont tous placés, dans un système qui se referme sur eux comme un piège.
L’école ne donne qu’aux riches. Les élèves riches y arrivent tout auréolés de facilités, ils savent parler – nous y reviendrons -, ils ont un acquis culturel. Les plus pauvres, ceux aux parents desquels le régime refuse le temps et les moyens de vivre – ces parents qu’il exploite comme ouvriers, comme petits employés, comme petits paysans et qui ne peuvent accéder à la culture -, ceux-là sont, dès le départ, en état d’infériorité, ce sont des déshérités culturels, et le gouvernement ne fait rien pour les en sortir. Au contraire, il fait tout pour les enliser, en utilisant leurs difficultés matérielles et culturelles et en prétendant qu’ils ne sont pas « doués ».
Les retards, les échecs scolaires constituent une cause essentielle d’élimination des élèves. Dans chaque classe d’âge des dizaines de milliers d’enfants sont arrêtés en cours de route ou déroutés vers les voies courtes et les impasses à cause d’une détérioration excessive de leurs performances. La revue officieuse du ministère a dû reconnaître que la France détient le record des retards scolaires en Europe. Des incidents limités dégénèrent souvent en catastrophe. Une avarie, qu’on aurait pu aisément éviter ou réparer si les moyens de prévention et de rattrapage existaient, aboutit à ce que maint enfant coule sans rémission.
Le système utilise les retards scolaires comme un moyen de trier les élèves, parce que tous les chiffres prouvent qu’ils frappent en premier lieu les enfants d’ouvriers et de paysans.
Les enfants d’ouvriers et de paysans sont les principales victimes de cette « mortalité scolaire » terriblement inégale. D’après le recensement de 1968, ont abandonné toutes études après l’âge de 16 ans, les enfants de
Salariés agricoles | 70,3 % |
Ouvriers | 64,6 % |
Exploitants agricoles | 61,2 % |
Employés | 55,7 % |
Patrons de l’industrie et du commerce * | 42,9 % |
Cadres moyens | 25,4 % |
Cadres supérieurs | 10 % |
*(Ne pas confondre avec le patronat capitaliste. Les statistiques comptabilisent ici, pour l’essentiel, les commerçants et artisans.)
En bref, l’école française actuelle révèle l’opposition entre une égalité de pure forme, proclamée dans les textes, et l’inégalité réelle qui provient de la nature du régime social qui veut qu’un enfant d’O.S. ne puisse pas, sauf exception-alibi rarissime, devenir dirigeant d’une usine ou dirigeant de l’État.
Cette réalité ségrégative de l’école primaire ou du C.E.S. contredit les proclamations égalitaires qui présidèrent à leur création : c’est un fait, et qui donne à réfléchir sur la société. Respect de l’homme, épanouissement de l’homme ! Ces belles formules humanistes ne pourront devenir réelles que du jour où les hommes feront fonctionner l’école dans un système économique et politique fondé sur le respect et l’épanouissement de l’homme par l’homme.
L’inégalité sociale à l’école est révoltante, parce qu’elle frappe les enfants. En même temps elle prive la nation des capacités de millions d’hommes et de femmes. Le nombre effrayant d’enfants en perdition dès l’école primaire suffirait à disqualifier le capitalisme.
De quelque option philosophique qu’il se réclame, quelque foi qu’il professe, nul ne peut escamoter, en conscience, l’injustice faite aux enfants par cette école-là. La revendication fondamentale d’une école nouvelle, qui combattra les retards scolaires, soutiendra les plus déshérités, donnera à chacun toutes ses chances pendant toute la scolarité, c’est la liberté qui revendique sous la contrainte, l’égalité contre l’injustice, la satisfaction des besoins nationaux contre l’arithmétique stérile du profit.
Observons une ruche. Le travail de dizaines de milliers d’abeilles ouvrières y est réglé par une force instinctive. « L’esprit de la ruche » – comme dit Maurice Maeterlinck – distribue leur besogne aux nourrices, aux dames d’honneur de la reine, aux ventileuses, architectes, maçons, cirières, sculpteuses, aux butineuses. Il impose leur tâche aux chimistes, aux operculeuses, aux balayeuses, aux amazones du corps de garde. « L’esprit de la ruche » veut des esclaves disciplinées et prestes, qui sachent incontinent tirer parti des ordres.
Voilà en raccourci l’idéal social des capitalistes. Au lieu d’organiser l’école de telle sorte qu’elle donne à tous une large culture de base et une réelle maîtrise professionnelle, le grand capital lui enjoint de former et de répartir avec avarice la force de travail disponible dans la société, en en calquant étroitement la définition sur l’évaluation du profit. Il ne regarde la majorité des enfants et des jeunes que comme de futurs hommes de corvée, des sortes de machines d’os, de muscles et de nerfs, dont la peine devra l’engraisser.
Pis encore, tous les insectes de la ruche n’ont pas la même constitution physique. Leur corps est, en partie, construit en fonction de leur tâche sociale. La reine voit son cerveau réduit au profit des organes de reproduction, tandis que, chez les ouvrières, ces organes sont atrophiés au bénéfice des capacités cérébrales nécessaires à leur travail. Ah ! s’il pouvait en être ainsi dans l’espèce humaine, le régime capitaliste ferait coïncider la conformation naturelle de chacun avec la division du travail la plus rentable.
Eh bien ! la division du travail que le capitalisme ne peut tirer de la nature, parce que les êtres humains ne sont pas des animaux et que la culture n’est pas transmise par les gènes, il met tout en oeuvre pour l’obtenir par des institutions, en particulier par l’école.
Les Plans ont classé les travailleurs en six « niveaux ». Le « niveau 6 » est celui des manoeuvres et ouvriers spécialisés (O.S.). Le Ve Plan prévoyait 25 % de main-d’oeuvre recrutée au « niveau 6 ». Le VIe Plan a porté cette proportion à plus de 31 %.
En 1971, 28 % des élèves de la tranche d’âge intéressée sont entrés dans la vie active sans formation professionnelle. Selon le Conseil National du Patronat Français, 200 000 à 250 000 jeunes se trouvent dans ce cas chaque année. Que deviendraient-ils d’ici vingt ou trente ans, si le pays ne changeait pas de politique ?
L’O.S. que le grand capital exige de l’école doit être un travailleur amovible, adaptable par raccord rapide à toutes les tâches de production non qualifiées. Pour lui, l’O.S. se plie ou s’agraphe, se coupe, se profile ou s’emboutit en peu de jours, selon les besoins d’un rendement maximum avec un minimum de frais. Pillé, meurtri, asservi au profit !
Chacun reconnaît ici la signification des sixièmes III, des classes de transition, des terminales pratiques, des classes professionnelles de niveau, et même d’une partie des classes de sixième II et des classes de C.E.T. : elles ont reçu pour mission de fournir des O.S., en les puisant en quasi-totalité parmi les enfants d’ouvriers et de petits paysans.
Or, nous retrouvons sur ce point la question-clé des liens entre l’injustice et l’inadaptation du capitalisme au monde moderne.
Une division technique du travail est nécessaire : il faudra bien, demain, répartir les élèves, les orienter en fonction des besoins sociaux. Mais la division du travail établie par le grand capital n’est pas, à beaucoup près, la meilleure possible du point de vue économique et technique. Le système du profit entraîne des distorsions, des lacunes et des excès, des gaspillages considérables. Il limite la production, l’engage dans des impasses ou la détourne vers des travaux humainement stériles. La production moderne requiert des travailleurs une base de culture solide et un vaste éventail de capacités. Elle s’oppose à une division des tâches fixée, une fois pour toutes, dès l’enfance.
Mieux, la production moderne ne peut plus se contenter d’une population maintenue en majorité dans un état subalterne, d’exécutants passifs rivés à une tâche de détail, traités en inférieurs. Elle a besoin de travailleurs inventifs, aptes à l’initiative, à l’intervention active à tous les stades de préparation et de réalisation, de gestion et de décision. De nos jours, au point de vue du développement économique lui-même, l’éducation ne peut se limiter à une formation professionnelle étroite. Elle doit former inséparablement l’homme, le citoyen, le producteur. Quand l’économie n’aura plus le profit pour but, formation professionnelle et développement culturel s’associeront et s’harmoniseront.
Voilà donc encore une contradiction du capitalisme. En limitant au maximum l’élévation culturelle et même la formation professionnelle des travailleurs en fonction de l’accumulation du capital, il empêche de naître ou mutile d’immenses capacités humaines, dont il prive l’économie et la société.
Chacun reconnaît au moins qu’il existe un malaise à l’école. Le mot est bien faible.
Le ministre affirme :
« C’est une crise de communication entre les jeunes et les adultes, entre les enseignants et les enseignés. »
Cette crise-là existe, et il faut donner, dès aujourd’hui, tous les moyens nécessaires à la recherche et à l’innovation pédagogiques pour lui apporter des remèdes. Le temps n’est pas au repliement conservateur, à l’hésitation devant les nouveautés. Une pédagogie active, moderne est un impératif absolu. Il faut dépoussiérer tout ce qui a vieilli.
Mais réduire à une crise de communication le drame actuel de l’école, laisser croire qu’une réforme de la pédagogie – à supposer que le gouvernement en donne les moyens et qu’elle dépasse de beaucoup le seul problème des rapports entre enseignants et enseignés – puisse le dénouer, n’est-ce pas une utopie ?
La pédagogie peut-elle porter tous ses fruits si l’arbre scolaire reste intrinsèquement malade ? Elle n’est pas un remède-miracle.
La crise chez les élèves provient d’abord de l’inégalité sociale, que nous venons d’analyser.
Les jeunes, les familles, les enseignants acceptent de moins en moins l’élimination des plus pauvres. Ils ont raison. Leur position traduit l’aspiration grandissante à la justice, qui marque notre temps.
Beaucoup de Français ont pris conscience des phénomènes sociaux qui se produisent à l’école, du rôle que le régime impose à cette institution. Ils ne se résignent plus. Ils savent ou pressentent qu’une autre école est possible.
L’un des grands problèmes actuels, c’est que beaucoup d’élèves ne sont pas motivés. Ils n’aiment pas ce qu’on leur fait faire. Pourquoi cela ?
Des dizaines de milliers d’élèves sont orientés par l’échec ; ils sont amers, déçus ; ils se sentent frustrés ; ils n’ont pas choisi le métier ou les études qui leur auraient plu ; on les a éjectés prématurément.
Tel est le cas, en particulier, de nombreux élèves des C.E.T. Leurs revendications ressemblent à celles des O.S. Comme les O.S., ils se sentent rejetés, mis au rebut, condamnés à devenir des outils vivants. Il est terrible pour un enfant d’ouvrier ou de paysan de se sentir exclu, bloqué, de voir les autres progresser et de rester sans perspective dans une classe-garage ou dans un métier qu’on n’a pas voulu.
En même temps – et cela est fondamental – l’enseignement ne correspond plus à ce qu’est devenue, à ce que deviendra probablement la vie.
L’enseignement public français a une belle tradition. A son progrès ont contribué les enseignants de tous ordres. Mais, malgré leurs efforts, le contenu ne répond plus aux besoins sociaux, à la demande des jeunes.
Tel père disait jadis à son fils : « Si tu n’étudies pas bien, tu iras à l’usine. » Pareille réflexion serait peu sensée aujourd’hui. Pour devenir un bon ouvrier professionnel (ou un bon paysan) il faut aller longtemps à l’école, et bien étudier.
Cette exigence grandira encore dans une économie démocratique, qui assurera l’essor des forces productives, tout en allégeant la peine des travailleurs.
Le temps n’est plus où la plupart des Français pouvaient quitter l’école à douze ou quatorze ans, munis d’un « bagage » de connaissances « primaires » qui leur suffisait pour la vie ; où l’armée pouvait se satisfaire d’inscrire face au nom du conscrit : « L.E.C. », c’est-à-dire: « Sait lire, écrire, compter. » Or, les études restent trop souvent étrangères au réel. L’école semble un milieu clos, impénétrable au monde. Un divorce existe entre l’enseignement et un univers en voie d’évolution accélérée. Ce divorce dépouille l’école de sa valeur éducative.
Malgré certaines modifications, l’école primaire vit encore, pour l’essentiel, sur des programmes vieux d’au moins un demi-siècle; l’innovation pédagogique s’y fraie, péniblement des voies.
Traités en parents pauvres, les C.E.T. sont souvent dépassés ou insuffisants, parfois vétustes, malgré les efforts et les avertissements de leurs personnels et des organisations ouvrières.
Le premier rapport d’exécution du VIe Plan écrivait :
« Le second cycle court (C.E.T.) pose le problème le plus préoccupant, avec un déficit de 63 000 places s’ajoutant à de nombreuses insuffisances antérieures non seulement quantitatives (nombre de places), mais qualitatives (vétusté, inadaptation pédagogique). »
Le patronat tire parti de ces carences pour aggraver les conditions d’embauche, de travail, de rémunération. La situation menace tellement la production et indigne à ce point les travailleurs qu’il a dû, avec le gouvernement, entreprendre quelques transformations.
Dans un avis sur l’informatique et l’automatisation, le Conseil Économique et Social indiquait, le 12 février 1970 : « La situation actuelle du marché de l’emploi, caractérisée par une pénurie d’ouvriers qualifiés et de techniciens, tandis que l’on enregistre simultanément un nombre important de demandes d’emploi non satisfaites, traduit l’inadaptation de la formation professionnelle aux besoins de l’économie. » Le même texte notait d’ailleurs : « On doit constater la volonté délibérée de l’U.R.S.S. de s’engager à fond dans cette révolution technologique. On ne saurait trop insister sur le fait que ce plan de développement économique et technique est considéré comme un plan de développement social à long terme, et même comme un véritable projet de civilisation. »
L’inadaptation s’étend désormais à tous les degrés. Dans l’enseignement supérieur, la proportion des étudiants en sciences est tombée, en dix ans, de 26,8 % à 16,7 %. Le nombre des étudiants en Instituts Universitaires de Technologie (I.U.T.) – futurs techniciens supérieurs – équivaut au cinquième de ce que prévoyait le Ve Plan.
Un métier ne suffit pas. Il faut un emploi. Beaucoup de jeunes sont en chômage. Beaucoup ne trouvent à s’employer qu’en dehors – c’est-à-dire presque toujours au-dessous – de leur niveau général et de leur qualification. Cela atteint les diplômés, y compris certains de ceux qui sortent des grandes écoles : plusieurs milliers d’entre eux chôment, alors que le pays manque dangereusement de techniciens supérieurs et de scientifiques. N’est-ce pas le désordre ? N’est-ce pas la crise ?
Demeuré en marge de la vie, l’enseignement des écoles, collèges et lycées ne fait pas de place suffisante aux sciences. Il ignore en grande partie le développement des techniques. Il néglige les sports et les arts. Il méconnaît dans l’élève le futur citoyen et refuse aux jeunes l’explication objective et la discussion des faits économiques et sociaux, la culture méthodique de l’esprit critique, l’apprentissage actif de la liberté et de la responsabilité.
Est-on cultivé si l’on n’a pas reçu d’éducation artistique, d’éducation physique et sportive, d’éducation civique et morale ?
Est-on cultivé si l’on n’a pas reçu d’éducation technique, si l’on ignore tout du travail productif, de l’économie vivante ?
Mis à part l’enseignement technique, créé pour l’essentiel dans le contexte démocratique qui suivit la Deuxième Guerre mondiale, et dont nous avons noté les carences, l’école publique française n’a cessé, depuis le XIXe siècle, d’être tenue à l’écart de la formation des producteurs. En 1887, Ferdinand Buisson, représentant de l’instruction publique, opposait « les aptitudes intellectuelles qui font l’homme » aux « aptitudes pratiques qui font l’ouvrier ». La culture serait d’autant plus « générale » qu’elle est plus « gratuite », plus « inutile ». Éloquente reprise par le capitalisme d’une conception archaïque de la « culture » aristocratique, destinée jadis à une « élite » qui aurait cru déroger si elle avait produit des biens matériels !
L’enseignement n’intéressera les élèves que du jour où il cessera d’être coupé de la vie. Bien plus, de ce jour il les passionnera, il les verra intervenir de façon riche et créatrice dans des activités scolaires dont ils comprendront le but et le sens.
Si l’Éducation nationale opère une refonte complète et cohérente des programmes, des méthodes, de la vie scolaire, alors la communication se fera, le courant passera entre les élèves et les maîtres.
Le magnat Krupp aurait dit un jour : « Un patron doit être seul maître chez soi. » Pas un capitaliste au monde ne pense autrement. Le capitalisme, c’est la propriété privée des grands moyens de production, avec toutes ses conséquences pour la direction et la gestion.
Pour la classe dominante l’enseignement a toujours été un moyen important d’ensemencer les idées qui contribuent au maintien de sa domination. La question de l’école et la question du pouvoir politique sont indissociables.
Nous avons signalé le décalage de l’école par rapport à la réalité. Il est bien nécessaire d’introduire dans les programmes l’étude du monde contemporain, l’économie politique, etc. Mais pas d’illusions sur le rapprochement de l’école et de la vie dans le cadre actuel ! Le régime a compris qu’il pouvait en tirer parti. En témoignent la plupart des manuels d’instruction civique, certains aspects du programme d’histoire des classes terminales des lycées, bien des ouvrages de géographie. L’étude des faits économiques, telle qu’elle est nouvellement préconisée dans certaines sections des lycées ne le cède en rien aux publications patronales ; elle est peut-être même capable d’engendrer moins de défiance et plus de chimères.
En 1967-1968, un groupe d’experts a été réuni, à la demande de M. Georges Pompidou, alors premier ministre, pour étudier la « politique industrielle ». La synthèse de ces travaux, déposée en avril 1968, est connue sous le nom de « Rapport Ortoli-Montjoie ». Selon les auteurs, l’État doit centrer sa politique sur le développement du profit de quelques groupes privés bien sélectionnés.
« Une société – écrivaient-ils – dans laquelle des divergences profondes apparaîtraient sur le rôle et la portée même du profit, ne manquerait pas d’être profondément ébranlée dans la recherche de son développement, et partant, de sa puissance et de son indépendance. »
A cette fin, « l’appareil éducatif » devrait remplir une « mission industrielle ».
« En définitive – écrivaient ces technocrates – le facteur essentiel du développement de l’industrie est peut-être l’existence et la diffusion, dans l’ensemble de la société, d’une mentalité, d’un état d’esprit industriels… Parmi ses principales composantes il faut sans doute retenir… une attitude positive vis-à-vis du profit, regardé non comme une tare, ni même seulement comme l’annexe du succès, mais bien comme un signe objectif essentiel et la sanction de la gestion de l’entreprise. »
Le rapport préconisait, en conséquence,
« que l’enseignement soit davantage axé sur la vie économique ; en particulier que, dès le primaire, si possible, les enfants apprennent à connaître le rôle et le fonctionnement de l’entreprise ; et que le calcul économique, en commençant par la détermination du prix de revient, constitue une matière de base dans le deuxième cycle de l’enseignement secondaire, dans l’enseignement supérieur technique et les grandes écoles… »
Nous pourrions multiplier les exemples analogues, en particulier dans les textes du C.N.P.F. Le VIe Plan va dans ce sens.
Dans le domaine de la formation permanente, le grand patronat tend de plus en plus à utiliser les possibilités législatives nouvelles pour des enseignements de « relations humaines », de « management » et d’autres techniques d’intégration aux objectifs capitalistes.
Mais les idées de la classe au pouvoir ne pénètrent pas qu’à visage découvert dans l’enseignement.
Une comparaison simplificatrice peut donner un aperçu du phénomène.
Observons un métier à tisser.
Dans le sens de la longueur des fils parallèles sont tendus : c’est le fil de chaîne. Les navettes du métier font passer le fil de trame, transversalement, entre les fils de la chaîne. Cet entremêlement produit le tissu.
L’enseignement est comparable à un tissu, comportant une chaîne et une trame. La « trame », c’est la palette des disciplines. La « chaîne », c’est un langage, ce sont des comportements, des cadres généraux, des modes de pensée qui sous-tendent l’ensemble de la culture : une certaine façon d’aborder la réalité, de la classer, de la mettre en ordre, de l’exprimer. Sans le dire, l’école utilise la « chaîne » de manière apparemment si habituelle, si « naturelle » que les présupposés linguistiques ou logiques paraissent évidents et deviennent des automatismes chez les enseignants et chez les élèves. Des chercheurs, qui ont analysé ce phénomène complexe, l’ont appelé, non sans raison, un « inconscient culturel ».
En même temps, nombre d’attitudes et d’idées apparemment spontanées découlent de la société de classe dans laquelle baigne l’école. La haute bourgeoisie dispose non seulement de la plupart des moyens – documentation, information, édition, etc. – qui fondent son influence, mais encore de ces forces, engendrées par des siècles de société exploiteuse : l’ancienneté, les idées acquises, les préjugés, l’habitude.
Un seul exemple : beaucoup de gens ont admis, pendant des siècles, comme inévitable, comme inscrite dans une loi de nature, la répartition inégale des jeunes élèves. Sinon nul enseignant n’appliquerait les procédures d’élimination, nul parent et nul jeune ne les accepterait. A cet égard, l’idéologie sert à masquer le caractère social des inégalités et à justifier des privilèges.
Est-ce à dire que le grand capital et son État dominent et manipulent intégralement les cerveaux des enseignants et des élèves ? En fait, là aussi, ils sont loin de maîtriser le jeu.
Le premier antidote à l’influence des idées capitalistes tient à la nature de l’école. L’enseignement transmet des connaissances, un savoir. Plus la part du savoir est grande, plus elle peut donner ces moyens de libération que sont la recherche des explications profondes et des idées générales, le respect des faits et le goût des vérifications, l’esprit critique. La culture, en particulier la pensée scientifique, augmente chez les travailleurs la capacité de comprendre la réalité sociale et de conduire les luttes.
L’autre contre-poison est secrété par la situation de l’école dans la société. Quand nous disons : « Telle société, telle école », cela ne peut signifier, aujourd’hui, que l’école est dominée sans partage par les idées capitalistes. La société française est capitaliste, mais les idées démocratiques, progressistes, socialistes y grandissent à mesure que se développe la lutte des ouvriers et des autres couches populaires contre le capitalisme. Ces idées combattent et concurrencent de plus en plus celles de la classe au pouvoir. De façon comparable, dans les dernières années qui précédèrent 1789, les idées nouvelles refoulaient victorieusement celles de l’Ancien Régime. L’idéologie qui est en crise, c’est l’idéologie bourgeoise dans toutes ses variantes. Le socialisme scientifique est à l’offensive.
Cet affrontement se réfracte dans l’école. Loin de la modeler à son gré, la haute bourgeoisie y rencontre de plus en plus le reflet idéologique des luttes populaires ; elle y rencontre des luttes directes, syndicales et politiques, d’une qualité et d’une ampleur sans précédent lesquelles réagissent à leur tour sur l’ensemble des combats populaires.
Ainsi, l’école est un terrain actif de la lutte des classes : spécialement en France, en raison des particularités de notre histoire nationale.
Avons-nous peint un tableau trop noir ?
Au vrai, le terme même de crise est chargé d’un double sens : il exprime, d’un côté, les impasses du système établi, et d’un autre côté, la montée des forces qui le contestent. La crise peut conduire à des épreuves nationales, mais aussi elle peut être le début d’une rénovation.
La France a de bonnes cartes dans son jeu. Et en premier lieu ses hommes et ses femmes, sa jeunesse.
Quelque établissement scolaire qu’on visite, on rencontre, au-delà des aspects superficiels, des enseignants passionnés de leur métier, prêts à s’y dévouer corps et âmes, bouleversés seulement de n’avoir point les moyens de le faire.
Des centaines de milliers de parents voudraient disposer d’informations et de pouvoirs réels pour aider aux transformations nécessaires. C’est les injurier et les méconnaître que de prétendre qu’ils démissionnent dans leur masse. Malgré les difficultés du travail et de la vie, bien que la culture ait été refusée à la plupart, ils s’occupent de pédagogie, de mathématiques, de sport, d’éducation sexuelle, avec les moyens du bord.
L’immense majorité de la jeunesse est digne de confiance. Affluent dans l’Éducation nationale les questions de la société qui nous concernent tous.
La petite minorité de ceux qui se replient dans la solitude ou l’angoisse, de ceux qui fuient dans la révolte vaine, soulève par son existence les problèmes de la France. Que d’actes responsables chez l’autre minorité, celle qui lutte déjà lucidement parmi les forces démocratiques et qui progresse en nombre et en autorité ! Quelle ampleur nouvelle dans des mouvements comme ceux que conduisirent des centaines de milliers de lycéens et de collégiens en 1973 ! La plupart des lycéens, des étudiants, des collégiens et apprentis souhaitent la sécurité et le succès de leur vie professionnelle, veulent des études vivantes et efficaces, éliminant les travaux absurdes et inféconds et développant intégralement la personnalité ; ils exigent avec raison des droits et des libertés indispensables à la vie des établissements.
Aux enseignants, aux parents, aux élèves et étudiants qui veulent une autre école comme aux travailleurs qui exigent une formation permanente, nous soumettons un projet constructif.
Le Parti communiste français, parce qu’il est le Parti de la classe ouvrière combative et transformatrice, parce qu’il développe et prolonge les traditions du mouvement ouvrier et démocratique, a toujours été attentif à la question de l’école.
Il reste, à ce jour, la seule formation politique qui présente un projet d’ensemble pour une réforme démocratique et moderne de l’enseignement.
La première édition en fut publiée, dans la revue « L’Ecole et la Nation », en février 1967. S’appuyant sur tous les travaux antérieurs, une commission avait réuni plus de deux cents militants pour élaborer, l’année précédente, un avant-projet, diffusé à 20 000 exemplaires et discuté en France par les communistes eux-mêmes et par toutes les personnes qui voulurent bien nous faire bénéficier de leurs avis sans être membres du parti.
Le stock de cette première édition fut épuisé en deux jours, au début de mai 1968.
Un travail collectif permit de publier, en février 1970, une deuxième édition du projet, qui maintenait toutes les grandes lignes – confirmées par l’expérience des luttes -, tout en apportant nombre de corrections, d’approfondissements, de précisions.
Au cours des deux années suivantes, des conférences de presse et des articles précisèrent notre projet sur divers points. En octobre 1971, l’ouvrage Changer de cap, programme du Parti communiste français pour un gouvernement démocratique d’union populaire, présenta une synthèse.
Notre parti se réjouit que le Parti socialiste, le Mouvement des radicaux de gauche et lui-même se soient, en juillet 1972, rassemblés sur un Programme commun de gouvernement, qui, parce qu’il est un programme d’alternative, de combat et d’union pour le peuple et pour la France, est nécessairement aussi un programme pour l’Éducation nationale.
Aux élections législatives de 1973, le Programme commun a permis à quelque onze millions de Français de se prononcer dans la clarté pour des changements profonds, capables d’ouvrir la voie au socialisme.
Face à la crise qui s’aggrave, aux problèmes monétaires et économiques, aux menaces sur les libertés et au renforcement de l’autoritarisme, aux dégradations qui atteignent l’Éducation nationale comme la culture et tous les autres secteurs de la société, le Programme commun de gouvernement de la gauche est là, plus actuel, et, si l’on ose dire, plus urgent que jamais.
Le projet contenu dans les pages qui suivent est un essai d’application du Programme commun dans le domaine de l’Éducation nationale. Rédigé sous la forme d’une proposition de loi d’orientation, que le groupe communiste a effectivement déposée à l’Assemblée nationale, il a pour but de préciser ce que pourrait être, demain, l’action d’un gouvernement d’union de la gauche mettant en oeuvre résolument l’ensemble de la politique définie par le Programme commun.
Il s’agit donc d’une contribution du Parti communiste français, appuyée sur nos travaux antérieurs et sur l’expérience française et internationale.
Ce projet est modeste, ouvert en toutes ses parties à la discussion, à la critique, à la recherche. Le débat est déjà, pour les démocrates, une forme d’action : il doit précéder tout choix, toute décision, tout engagement. Nous remercions d’avance tous ceux qui voudront bien y participer. C’est dans l’union que nous bâtirons une école démocratique et moderne.
Cette école nouvelle se situera aux antipodes de la politique actuelle. Trois mots en résument la philosophie : égalité, qualité, liberté.
Pour donner plus de force à la réflexion, pour mettre le projecteur sur le moment le plus essentiel, nous avons pris le parti de limiter notre proposition de loi à l’école fondamentale. Par ce mot, que nous avons employé pour la première fois dans un éditorial de l’Humanité il y a plusieurs années, nous entendons un système unifié qui associera l’école maternelle, le « tronc commun » (depuis le cours préparatoire jusqu’à la troisième, voire la seconde incluse) et le cycle terminal du second degré (formation générale et formation professionnelle). Au terme de l’application de la réforme, la scolarité sera prolongée jusqu’à 18 ans, et tous les élèves parcourront l’ensemble de l’école fondamentale.
Les deux autres éléments d’une réforme démocratique seront l’enseignement supérieur et l’éducation permanente. Nous nous bornons à mentionner, dans notre proposition, quelques aspects de ces institutions en fonction de leurs relations les plus étroites avec la future école fondamentale. Des lois d’orientation particulières devraient être préparées à leur sujet.
Quelques remarques sur chacun des trois mots-clés : égalité, qualité, liberté.
La proposition de loi détaille de nombreuses mesures qui doivent permettre de surmonter la ségrégation sociale. L’école fondamentale démocratique sera véritablement gratuite et elle apportera une aide nouvelle sérieuse aux familles. Accessible aux élèves de tous les milieux, elle combattra toutes les formes d’inégalité sociale. Elle donnera à chacune et chacun une solide culture générale et un métier valable.
Tandis que l’école primaire est aujourd’hui la grande délaissée du régime, la création de l’école fondamentale lui permettra de se transformer profondément. Elle deviendra le premier échelon du collège, lequel regroupera toutes les classes depuis le cours préparatoire jusqu’à la fin du tronc commun. Finis les hiatus et les fausses hiérarchies héritées de l’histoire ! Les premières classes cesseront pour toujours de jouer le rôle d’un tapis de tri des élèves en vue de leur ventilation entre les différentes sixièmes ; les institutrices et instituteurs n’auront plus à préparer une impitoyable sélection sociale.
Le « tronc commun » de neuf ou dix classes successives sera la pièce maîtresse de l’école fondamentale. Il regroupera tous les élèves dans les mêmes classes, avec les mêmes maîtres et le même enseignement de base. Mieux, il élèvera tous les élèves à un niveau défini. Cette notion de niveau détermine le sens nouveau de l’obligation scolaire : ce ne sera pas simplement l’obligation faite aux jeunes de rester à l’école, quoi qu’ils y fassent, jusqu’à un âge donné, mais l’obligation assumée par l’Éducation nationale de les conduire à un niveau de culture, disons, pour partir des références actuelles, au niveau d’un bon brevet.
Sécurité d’abord ! Le premier objectif du voyage scolaire sera que chaque élève arrive à bon port. Chacun d’eux aura rendez-vous avec le cycle terminal du second degré. Dès la petite enfance des mesures seront prises en faveur des élèves qui ne peuvent suivre le reste de leur classe. Tout un système simple et diversifié d’observation et de rattrapage permettra de déceler à temps les pannes et de tuer dans l’oeuf les retards scolaires. Tout enfant en difficultés sera pris en mains, stimulé, « réparé » en quelque sorte, de façon à pouvoir continuer son parcours avec tous les autres. Un incident limité ne pourra plus dégénérer en échec total et en élimination. Les enfants handicapés ou inadaptés seront complètement et réellement pris en charge. Grâce à cet effort les portes des universités commenceront à s’ouvrir à tous.
L’école fondamentale démocratique développera toute la personnalité de chacun en lui ouvrant tous les aspects de la culture, en le préparant à la vie réelle, en lui garantissant qu’il ne quittera pas l’Éducation nationale sans une solide formation de base et sans un métier. Cette école fertile reculera les limites de chaque individu et développera le potentiel de toute la société.
C’est pourquoi l’idée de qualité de l’éducation est présente partout dans notre proposition. Les problèmes du contenu y occupent une place majeure.
Les hommes et les femmes qui sortiront de l’école fondamentale démocratique auront acquis les bases des sciences, des lettres, de la technique ; ils auront reçu une éducation artistique, une éducation physique et sportive, une éducation civique et morale. Ce ne seront ni des outils humains, ni des crétins spécialisés, ni des fats ignorants, ni de ces êtres sclérosés dont Jules Renard disait : « Il n’y a pas d’eau dans leur puits de science. »
Notre proposition prévoit des solutions pour une nouvelle formation professionnelle initiale et permanente. Elle définit un type nouveau de lycées. C’est l’une des actions prioritaires à entreprendre.
Ces progrès supposent une rénovation pédagogique profonde. L’école de demain encouragera les enseignants à têtes chercheuses.
Appartenant au nouveau service public unique et laïque de l’Éducation nationale, dont nous rappelons les principes constitutifs, l’école fondamentale démocratique sera une école de la liberté. Les élèves y joueront un rôle important. Les enseignants y seront protégés contre tout arbitraire. Les parents y participeront effectivement aux décisions. Il faut que la démocratie règne à l’intérieur des établissements : seule la démocratie rendra possible un climat nouveau favorable à un travail scolaire efficace.
Il est indispensable que les grands courants d’idées pénètrent à l’école, sans exclusives ni pressions officielles. Pas de philosophie d’État, pas d’obligation de penser telle ou telle chose – ou de faire semblant -, pas de mise en condition des jeunes esprits, mais une éducation scientifique, une information solide et objective, une confrontation sérieuse, qui briseront les chaînes de la pensée et de l’action : voilà nos principes, voilà la véritable laïcité, compréhensible et admissible par toutes les familles.
Il règne beaucoup de confusion sur la question de la liberté. La liberté authentique, c’est celle que posons de construire ensemble. Cette liberté, c’est la possibilité. Parce que l’Éducation nationale fera son devoir, tous les enfants et tous les jeunes auront enfin la possibilité d’accéder à la culture et au métier.
Certains s’imaginent que les communistes ignorent la morale. C’est une erreur absolue. Notre activité à nous, communistes, est dirigée dans le sens du progrès de la société, vers la suppression de l’exploitation et de l’oppression, vers l’établissement d’une société fraternelle et juste d’hommes vraiment libres, maîtres d’eux-mêmes et de la nature. Un ensemble de règles morales dirigent notre action au service de cette cause émancipatrice.
Mais nous n’entendons rendre obligatoire aucune de nos idées. Nous ne prétendons pas non plus à un monopole de l’action humaniste et révolutionnaire. Simplement, nous apportons à cette action collective toutes nos forces, notre savoir, notre expérience, notre organisation.
Dans l’école fondamentale démocratique, le rôle des enseignants et de tous les autres personnels sera primordial. Ils savent qu’ils ont très peu d’améliorations à attendre du régime actuel pour la formation, le recrutement, la titularisation, la rémunération, les conditions de travail.
Nous envisageons d’élever de façon décisive la formation à la fois scientifique et professionnelle de tous les enseignants. Nous leur proposons une véritable formation permanente, la disparition définitive de tout auxiliariat, une nouvelle grille indiciaire. Nous voulons revaloriser la fonction enseignante.
Comme ces questions sont controversées, nous avons essayé d’apporter une contribution pour faire progresser le débat. C’est le cas, en particulier, pour la constitution du corps unique des maîtres et pour la conception des « Centres pédagogiques universitaires ».
Il n’y a pas un grain d’utopisme dans cette proposition de loi. A deux conditions :
Tout d’abord, des étapes seront nécessaires. Dans quelques cas nous nous risquons à suggérer les premières d’entre elles. Mais ce sera là un objet majeur de discussion entre le gouvernement de gauche et l’ensemble des intéressés. Une remarque s’impose à cet égard : à la différence du Programme commun de gouvernement, notre proposition de loi ne se limite pas aux cinq années d’une législature. Il sera important d’en tenir compte sur plusieurs points (par exemple, la prolongation de la scolarité à 18 ans).
Plus profondément, la condition de réalisation d’une proposition comme la nôtre, c’est que soit mise en oeuvre, dans son ensemble, la nouvelle politique préconisée par le Programme commun de la gauche. Rien ne serait plus illusoire et plus nocif qu’une conception étroite, purement technique de l’Éducation nationale. Rien n’est plus étranger aux communistes.
C’est pourquoi, à propos de cette question de l’Éducation nationale comme à propos de toutes les autres, nous appelons tous les intéressés, tous les Français à prendre ensemble en mains la lutte pour le Programme commun, qui est LEUR programme.
Notre seule ambition dans les pages qui suivent est de les y avoir aidés.
PROPOSITION DE LOI D’ORIENTATION PORTANT CRÉATION DE L’ÉCOLE FONDAMENTALE DÉMOCRATIQUE ET MODERNE
PRÉSENTÉE PAR LE GROUPE COMMUNISTE A L’ASSEMBLEE NATIONALE
TITRE I
PRINCIPES ET OBJECTIFS GÉNÉRAUX
DE LA RÉFORME DÉMOCRATIQUE
ARTICLE 1
DROIT A L’ÉDUCATION
1. La nation reconnaît à tous le droit à l’éducation : tout individu vivant sur le territoire de la République française a droit, sans distinction d’origine sociale, de fortune, de sexe, de nationalité, de race, de croyance religieuse ou d’opinion, à une éducation qui assure la formation la plus complète de sa personnalité en le préparant à la vie sous tous ses aspects.
2. L’Éducation nationale est le service public chargé de réaliser le droit à l’éducation pour tous.
En chaque individu elle doit former à la fois l’homme, le citoyen, le travailleur.
3. L’Éducation nationale concourt à la réalisation de l’égalité entre tous les membres de la société. Les établissements scolaires et universitaires rejetteront toute sélection, différenciation ou ségrégation organisée en fonction de l’origine sociale des élèves et des étudiants. La lutte contre la ségrégation sociale est leur tâche prioritaire.
Agissant au sein d’un régime de démocratie économique et politique qui luttera par tous les moyens contre l’injustice, les établissements scolaires et universitaires combattront toutes les formes d’inégalité, en premier lieu devant la culture et devant le métier.
4. L’Éducation nationale a pour but de faire acquérir par tous une culture générale, de créer et de développer, chez tous, toutes les capacités possibles. Elle doit former des personnalités originales, équilibrées, capables de contribuer à l’effort collectif pour le progrès, en participant en pleine conscience à la transformation de la société et de la nature et en menant une vie vraiment humaine et libre. La culture générale acquise dans l’Éducation nationale doit mettre chacun en mesure d’être partie prenante à toutes les activités culturelles et de continuer à s’éduquer tout au long de sa vie.
C’est fondamentalement en cela que l’Éducation nationale sera une école de l’égalité.
5. Sur la base de la culture générale, l’Éducation nationale doit donner à chacun une formation professionnelle correspondant aux exigences du développement de sa personnalité et aux nécessités du progrès économique et social de la nation. Au terme de l’application de la réforme chaque jeune ne pourra quitter un établissement scolaire ou universitaire que s’il possède un métier.
6. L’Éducation nationale doit donner à chacun les chances les plus grandes d’entreprendre ou de reprendre des études de tous niveaux, soit pour se perfectionner dans son activité, soit pour changer d’activité, soit pour améliorer sa culture générale. Cet objectif concerne en premier lieu les millions d’hommes et de femmes qui seront entrés dans l’âge adulte sans avoir pu bénéficier de la réforme démocratique de l’enseignement. Il concerne aussi, pour l’avenir, tous ceux et celles qui auront besoin de continuer à apprendre et à se cultiver au-delà de la période de scolarité, c’est-à-dire l’ensemble de la population.
7. L’Éducation nationale a une responsabilité importante pour l’éducation civique et morale de la jeune génération. Dans l’ensemble de son contenu et de son fonctionnement, elle doit préparer chaque citoyen, chaque travailleur à se saisir des responsabilités et à intervenir effectivement dans l’élaboration des discussions et dans le contrôle de l’exécution à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie économique, politique, sociale, culturelle. C’est fondamentalement en cela que l’Éducation nationale sera une école de la liberté.
CULTURE GÉNÉRALE
1. L’objectif de culture générale humaniste fixé à l’Éducation nationale se définit à la fois par :
– un niveau : la qualité de l’éducation sera portée à la hauteur des exigences des hommes et de la société à l’époque actuelle ;
– une étendue : l’éducation associera en un ensemble : la langue maternelle et les langues étrangères, les mathématiques, les sciences de la nature et de la vie, les sciences humaines ; la technologie ; la formation physique et sportive ; les arts ; l’éducation civique et morale;
– une cohérence : le but suprême des institutions éducatives est la personnalité développée dans toutes ses dimensions, avec une conscience élevée de ses responsabilités sociales.
La culture générale est la base de toute spécialisation. Elle continuera à être acquise aux degrés les plus élevés de l’Éducation nationale, quelle que soit la voie suivie.
2. L’acquisition de la culture générale implique une triple liaison :
– entre l’éducation et la vie ;
– entre la théorie et la pratique ;
– entre l’étude et le travail technique.
L’éducation générale dispensée à tous les élèves inclura des disciplines technologiques et économiques, intégrées à la culture au même titre que les autres informations. Les travaux manuels et la formation technologique cesseront d’être réservés aux victimes de la sélection par l’échec. Ils seront partie intégrante de l’éducation générale acquise par tous les élèves de l’école fondamentale, d’abord sous la forme de travaux manuels scolaires, puis sous la forme d’un véritable travail technique en atelier, soit dans le cadre scolaire, soit sur le lieu de la production vivante.
En consacrant une partie du temps scolaire à des activités techniques intégrées à l’éducation, tous les enfants et les jeunes s’initieront au travail créateur, à l’application pratique des connaissances, à l’expérimentation et à la recherche, au perfectionnement continu de leur savoir et de leurs capacités.
3. Le contenu et les méthodes de l’éducation doivent être réévalués de façon globale et cohérente, selon des procédures démocratiques.
La recherche pédagogique fondamentale et appliquée, la technologie de l’enseignement seront développées. Les expériences pédagogiques seront encouragées et soutenues sans autres limites que la laïcité et le respect dû à la disponibilité de l’enfance et de l’adolescence.
Un programme-cadre général définira les objectifs essentiels de l’Éducation nationale et les principaux moments de la progression vers ces objectifs.
Chaque programme particulier, pour les classes ou pour les disciplines, sera établi dans le cadre du programme général.
La cohérence du programme-cadre général résultera notamment
– de sa subordination à l’objectif culturel défini au 1er alinéa du présent article,
– des relations réelles qui existent entre les différents éléments de la culture,
– d’une conception pédagogique tendant à ce que, pour tous les aspects du programme, l’effort éducatif se concentre sur le fondamental, c’est-à-dire : l’acquisition de connaissances et de capacités prêtes à être mises en oeuvre et sans cesse complétées et perfectionnées ; la pensée logique et l’esprit scientifique ; le travail indépendant et créateur et l’aptitude à l’acquisition personnelle de la culture ; l’imagination, l’invention et la sensibilité ; le sens des responsabilités.
La définition de programmes nationaux – programme général et programmes particuliers – s’harmonisera avec la plus grande souplesse d’application sur la base d’une large autonomie pédagogique des établissements.
PRINCIPES D’ORGANISATION
1. L’organisation de l’Éducation nationale partira notamment des trois principes suivants :
– assurer l’égal accès de tous à tous les degrés et à toutes les voies – il est contraire à l’égalité de multiplier les barrages et les éliminations ;
– développer la personnalité de chacun sous tous les aspects, de façon continue à travers les différents âges – il est contre nature de traiter l’enfant ou le jeune de façon fragmentaire ;
– proposer à chacun un ensemble cohérent des principales richesses qui constituent la culture générale – il est contraire au développement de la culture de ne retenir que certains éléments, en négligeant ou en mutilant les autres, en les isolant les uns des autres.
2. Selon ces principes, l’Éducation nationale forme un tout. Elle doit regrouper tous les secteurs de la formation initiale et une part importante de la formation permanente.
Les principaux éléments de ce système seront :
– l’école fondamentale unifiée, comprenant : l’école maternelle, le tronc commun, le cycle terminal du second degré (y compris la formation professionnelle du premier niveau) ;
– l’enseignement supérieur.
L’enseignement spécialisé pour les enfants et adolescents handicapés et inadaptés appartiendra à l’école fondamentale.
Ce système sera construit de telle sorte que chaque individu ait la possibilité effective, indépendamment de son origine sociale et de la situation de sa famille, de franchir chaque niveau jusqu’aux cycles les plus élevés de l’enseignement supérieur. Les programmes procéderont d’une conception d’ensemble. Un corps unique d’enseignants sera créé pour tous les établissements depuis l’école maternelle jusqu’au cycle terminal du second degré. L’orientation sera continue.
3. L’unification de l’Éducation nationale n’exclut ni la diversité des individus ni l’éventail des activités culturelles, sociales, professionnelles : au contraire, elle les implique. Parce qu’éduquer c’est promouvoir, l’unité de l’éducation ne peut signifier l’uniformité, la formation ne peut tendre au conformisme, non plus d’ailleurs qu’au repliement stérile dans l’égoïsme. Dans son unité l’Éducation nationale démocratique inclura la diversité.
La réorganisation systématique de l’Éducation nationale n’exclut ni la souplesse ni la capacité d’évolution : au contraire, elle les implique. Il n’existe pas, pour l’éducation, d’organisation idéale, fixée une fois pour toutes. L’Éducation nationale démocratique sera une création continue.
COOPÉRATION ENTRE LES FORCES ÉDUCATIVES
1. A chaque moment de la réforme démocratique, le gouvernement décidera des mesures à prendre après consultation de tous les intéressés. Le fonctionnement et l’évolution de l’Éducation nationale, la vie des établissements scolaires et universitaires dépendent des efforts conjugués de tous ceux que la question de l’éducation concerne directement.
2. Aux écoles « tours d’ivoire » traditionnelles la réforme démocratique substituera des écoles ouvertes.
L’école ouverte est un ensemble socio-éducatif réunissant notamment l’établissement scolaire proprement dit, des lieux d’activités culturelles diverses, des lieux de sports et de jeux.
Mieux, l’école ouverte répond à un état d’esprit. L’Éducation nationale incitera à la création d’écoles fonctionnelles, intégrées à la vie du quartier ou du village, aménagées en fonction d’une pédagogie active et de centres d’intérêts multiples. Elle contribuera à ce que les enfants ne soient pas confiés successivement, sans coordination ni unité de vues, à des enseignants confinés dans les écoles et à des animateurs de loisirs sans liens réels avec l’enseignement. Elle tendra à ce que le service des maîtres soit aménagé de telle sorte qu’ils consacrent une part de leur temps à l’action éducative non scolaire. En même temps, elle reconnaîtra le rôle des éducateurs et animateurs en respectant strictement la pluralité des mouvements.
3. Au sein du gouvernement, le ministre de l’Education nationale animera l’activité générale du service public dont il a la charge.
4. Les personnels de l’Education nationale ont une responsabilité décisive pour l’accomplissement des tâches qui incombent au service auquel ils appartiennent. Ils bénéficieront de la garantie et de l’extension des libertés démocratiques, en particulier de tous les droits syndicaux. Seront notamment garanties la liberté de constitution des syndicats, leur indépendance à l’égard de l’État et des partis et leur liberté d’appréciation sur les modalités de leur engagement dans la vie publique.
5. Les familles ont une responsabilité spécifique et éminente pour l’éducation des enfants et des jeunes. L’ensemble de la politique gouvernementale doit leur permettre d’y faire face.
L’État démocratique veillera à l’harmonie entre les objectifs éducatifs des établissements scolaires et les intérêts des familles. Ces établissements travailleront en étroite liaison avec les parents, les aideront dans leurs tâches éducatives et recevront en retour l’aide des parents qui joueront un rôle important dans l’orientation et dans le fonctionnement de l’Éducation nationale à tous les niveaux. En assurant cette participation, l’État veillera au respect scrupuleux de l’indépendance des associations représentatives de parents d’élèves.
6. La jeunesse participera à l’orientation et au fonctionnement de l’Éducation nationale. La réforme démocratique repose sur la confiance à l’égard des jeunes. Elle part du principe que la jeunesse peut et doit utiliser toutes les possibilités éducatives, en prenant ses propres responsabilités, en développant ses propres initiatives.
Le droit syndical est reconnu aux étudiants et aux élèves des classes supérieures du tronc commun et du cycle terminal du second degré : une loi fixera les conditions de son exercice.
7. La réalisation de la réforme démocratique nécessite une collaboration de nature nouvelle entre l’Éducation nationale et l’économie elle-même démocratisée.
A cet égard les syndicats ouvriers sont appelés à jouer un rôle important.
8. L’Éducation nationale démocratique fera appel à tous les moyens modernes d’information : cinéma, radio, télévision, etc. L’O.R.T.F. mettra une chaîne de télévision à sa disposition.
Les bibliothèques et les autres moyens de documentation seront développés sur tout le territoire.
Les activités culturelles pour l’enfance (théâtre, etc.) seront favorisées.
9. Une loi définira les relations qui doivent exister entre l’Éducation nationale et le mouvement sportif.
10. Dans le cadre d’une large décentralisation, la réforme démocratique accroîtra les prérogatives des conseils municipaux et des conseils généraux en matière d’Éducation nationale. Les collectivités locales et les assemblées régionales recevront les moyens d’assumer pleinement leurs responsabilités.
ARTICLE 5
OBLIGATION
1. L’école maternelle doit être accessible à tous les enfants de deux à six ans, sans obligation pour les familles.
Au terme de l’application de la réforme, l’obligation scolaire s’étendra sur une période de douze années, entre l’âge de six ans et l’âge de dix-huit ans.
2. L’obligation scolaire comprend :
– l’obligation d’une éducation générale de niveau secondaire ;
– l’obligation d’une formation professionnelle.
3. L’éducation générale de niveau secondaire est acquise dans le tronc commun. Celui-ci comprend neuf classes communes à tous les élèves depuis le cours préparatoire jusqu’à l’actuelle troisième incluse. Il doit conduire tous les jeunes au niveau requis pour entrer dans le cycle terminal du second degré.
4. Les jeunes gens et les jeunes filles qui ont achevé les neuf classes du tronc commun peuvent fréquenter les sections générales du cycle terminal du second degré. S’ils ne s’engagent pas sur cette voie, ils sont soumis à l’obligation de formation professionnelle, acquise dans les sections professionnelles du cycle terminal du second degré.
C’est seulement pendant une période transitoire que certains jeunes pourront acquérir une formation professionnelle en concluant un contrat d’apprentissage.
5. Une étude théorique et expérimentale approfondie devra déterminer s’il convient ou non de prolonger d’une année la durée du tronc commun en y incluant l’actuelle classe de seconde.
6. Les enfants et les jeunes qui souffrent de handicaps physiques ou psychiques sont soumis à l’obligation d’éducation. Dans les cas particuliers, et dans ceux-là seulement, où l’état de ces handicapés ou inadaptés exige une pédagogie et des soins spécialisés, excluant toute participation aux sections ou établissements communs, ils seront éduqués dans des établissements de l’Éducation nationale conçus à cet effet.
7. En application de ces principes, le service public est tenu de prendre toutes dispositions nécessaires pour :
– assurer aux enfants de deux à six ans dont les parents le désirent la possibilité de fréquenter l’école maternelle, quel que soit leur lieu de résidence ;
– assurer aux enfants et aux adolescents de six à seize ans la possibilité d’acquérir une culture générale de niveau secondaire dans un établissement du tronc commun ;
– assurer aux jeunes gens et aux jeunes filles une formation professionnelle dans le cycle terminal du second degré ;
– assurer le droit à l’éducation des enfants et adolescents handicapés et inadaptés.
GRATUITÉ ET AIDE SOCIALE
1. L’éducation dispensée par les établissements de l’Éducation nationale doit être gratuite.
Tous droits d’inscription, d’examen, d’immatriculation, et tous frais analogues, sont supprimés pour les établissements de tous les niveaux.
La gratuité s’étend à tous les accessoires de la scolarité. Les livres et fournitures, effets de sports, équipements, instruments, matériels et outils nécessaires à l’enseignement sont fournis en principe par les établissements ; dans les cas contraires une prime d’équipement personnel en permettra l’achat par l’élève.
2. Les transports scolaires seront gratuits. Des tarifs dégressifs seront établis pour les restaurants scolaires et les internats. Les oeuvres universitaires seront développées et démocratisées.
3. La gratuité ne suffit pas à égaliser les chances. Les familles qui en ont besoin recevront une aide financière, qui remplacera le système existant des bourses. Cette aide sera attribuée sur les seuls critères sociaux, selon un barème simple et clair, dans des conditions démocratiques de gestion et de contrôle.
Les étudiants des deux premiers cycles de l’enseignement supérieur percevront, selon leurs besoins, une allocation d’études, leur permettant d’entreprendre et de poursuivre les études de leur choix dans des conditions matérielles favorables. Au troisième cycle de cet enseignement l’allocation d’études se transformera en présalaire attribué à tous les étudiants.
Une loi fixera les conditions et les modalités d’attribution des aides aux familles et des allocations d’études dans les trois mois qui suivent la promulgation de la présente loi d’orientation.
CONSTRUCTION ET FONCTIONNEMENT DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
En coopération avec les organismes économiques et l’Éducation nationale, les collectivités locales ont compétence pour étudier et exprimer les besoins de la population en matière d’éducation générale et de formation professionnelle.
Leurs représentants siégeront dans les conseils de gestion des établissements et dans les conseils de gestion départementaux prévus à l’article 11 ci-dessous.
Le conseil municipal ou le syndicat intercommunal seront obligatoirement associés à toutes les discussions relatives à la carte scolaire : aucune décision ne pourra être prise sans leur accord.
L’implantation, la construction et l’équipement des établissements scolaires seront décidés par les collectivités locales dans le cadre des lois régissant l’Education nationale, et en accord avec tous les autres organismes intéressés. Les normes techniques seront établies, notamment en matière de sécurité, par une commission démocratique nationale comprenant parmi ses membres des représentants des collectivités locales, des familles et des personnels de l’Éducation nationale.
La carte universitaire sera établie par accord entre l’Éducation nationale et les assemblées régionales.
Le budget de l’Éducation nationale résultera d’une analyse prospective établie par une consultation approfondie avec l’ensemble des collectivités locales, en même temps qu’avec les organismes démocratiques et les représentants qualifiés de tous les autres secteurs intéressés de la vie sociale.
A chaque étape, des lois de programme pluriannuelles dégageront les moyens nécessaires à la réforme démocratique.
La lutte contre la bureaucratie, préconisée à l’article 11, alinéa 2, de la présente loi s’appliquera particulièrement à l’ensemble des procédures concernant la construction et le fonctionnement des établissements scolaires et universitaires.
ARTICLE 8
SERVICE PUBLIC UNIQUE ET LAIQUE
1. Le service public de l’Éducation nationale est seul habilité à dispenser l’éducation définie au titre I de la présente loi d’orientation.
2. La collation des titres et des grades et la délivrance des diplômes sont un droit exclusif de l’Éducation nationale.
LAICITÉ, LIBERTÉ RELIGIEUSE ET PHILOSOPHIQUE
1. L’Éducation nationale est laïque.
A tous les niveaux, elle doit tendre à ce que tous les élèves acquièrent un savoir, des méthodes de pensée et de travail, un esprit critique, permettant à chaque personnalité de se développer librement et mettant chaque citoyen en état de penser, de juger et d’agir par soi-même.
Elle doit permettre à tous les élèves de s’adonner, en dehors des horaires proprement scolaires, à des activités culturelles très diversifiées, de haut niveau, dans un climat de liberté.
Elle doit aider tous les grands élèves à accéder de façon volontaire, en dehors des classes et des programmes, à une information politique ouverte, éventuellement contradictoire, et en tout cas conforme au principe selon lequel le service public doit non choisir pour les jeunes, mais leur donner le plus d’éléments possibles pour qu’ils choisissent eux-mêmes.
2. Il n’y aura pas de philosophie d’État. Aucune philosophie ou doctrine ne constitue la philosophie ou la doctrine « officielles » de l’Éducation nationale. Tous les établissements scolaires et universitaires et tous leurs personnels sont tenus à la fois de ne donner aucune éducation religieuse ou doctrinale et de respecter rigoureusement toutes les options philosophiques et spirituelles, toutes les croyances. Aucun d’entre eux n’a pour fonction de produire des disciples, d’assurer le recrutement de tel ou tel groupement politique, religieux ou philosophique. Les maîtres ont pour devoir de rendre compte des principaux courants d’idées, en aidant les élèves à faire le point des vérités scientifiques, à poser les grandes questions et à confronter les options.
3. Les droits des fonctionnaires de l’Éducation nationale ne sauraient dépendre des opinions, des croyances ou des appartenances syndicales ou politiques. L’accès à toutes les fonctions sera, sans autres conditions que les capacités professionnelles requises par les lois et les règlements, ouvert à tous les ressortissants français jouissant des droits attachés par la Constitution à la qualité de citoyen.
Nul ne pourra, dans une fonction relevant de l’Éducation nationale, être lésé en raison de ses origines, de ses croyances, de ses opinions, de son action politique ou syndicale. La discipline des personnels de l’Education nationale sera confiée à une juridiction propre, dans laquelle ils seront démocratiquement représentés. Tous bénéficieront de garanties efficaces contre l’arbitraire en ce qui concerne leur vie professionnelle : recrutement, nominations, avancement, etc. Le rôle des commissions et comités techniques paritaires dans la gestion et la défense des personnels sera renforcé en accord avec les syndicats représentatifs.
4. La gestion démocratique du service public de l’Éducation nationale, définie à l’article 11, est une garantie de laïcité.
5. Tous les partis, mouvements, organisations, ont le droit d’exercer, par leurs propres moyens et en dehors de toute intervention de l’État ou de l’école, l’action éducative de leur choix dans les domaines philosophique, idéologique, politique.
6. Tous les parents ont le droit de faire donner à leurs enfants l’éducation religieuse de leur choix. Cette éducation ne sera donnée ni par l’école ni à l’école. Elle s’exercera sans entraves sous la responsabilité des Églises.
Toutes mesures seront prises, après consultation de tous les intéressés (parents, enseignants, représentants des communautés religieuses, etc.), pour que l’organisation de l’Éducation nationale permette à l’éducation religieuse d’être dispensée, selon ces principes, dans les meilleures conditions.
Les Églises ont liberté de former leur clergé dans leurs propres établissements d’enseignement, tels que les séminaires. Le droit de posséder des établissements supérieurs de théologie, avec tous leurs départements annexes et complémentaires, leur est expressément reconnu.
Ces droits des Églises et des communautés religieuses sont partie intégrante de la liberté religieuse dont l’État laïque a le devoir de garantir le plein exercice.
ÉDUCATION CIVIQUE ET MORALE
1. L’Éducation nationale a pour devoir d’exercer une action éducative dans le domaine de la vie civique et de la morale. Les établissements scolaires doivent à la nation d’aider l’enfant, le jeune à prendre conscience du rôle qui sera le sien dans la vie sociale et de sa responsabilité de citoyen.
L’éducation civique et morale ne se limitera pas à une fade présentation des institutions publiques ; elle s’ouvrira aux problèmes de l’entreprise, de la planification, de la vie sociale, à ceux de l’urbanisme et du cadre de vie, ainsi qu’aux problèmes de la paix, de la coopération internationale, de la lutte contre le sous-développement, l’oppression et la dépendance.
Cette éducation ne se bornera pas à l’étude d’un programme en un temps fixé par l’horaire ; elle s’articulera avec les autres composantes de l’enseignement et s’inscrira dans l’ensemble de la vie scolaire, dont l’organisation devra favoriser au maximum l’affirmation de la personnalité et du caractère, l’action volontaire, l’initiative et le goût de l’effort.
2. Une importance particulière sera attachée à toutes les formes d’organisation qui permettent la prise en charge d’activités par les élèves eux-mêmes : c’est le cas, en particulier, des coopératives scolaires et des foyers socio-éducatifs. Ces derniers, qui devront recevoir les moyens de fonctionner, seront gérés par des élèves élus, avec des correspondants dans chaque classe, les administrateurs, enseignants et parents n’intervenant que pour aider et conseiller.
3. L’éducation sexuelle est inséparable, et de l’éducation dans le domaine des sciences de la vie, et de l’éducation morale. Sous le premier aspect, elle sera incluse dans les programmes. Sous l’aspect moral, elle fera principalement l’objet de conférences d’information et de débats, relevant des activités normales des foyers socio-éducatifs.
4. Tous les élèves recevront à l’école fondamentale une éducation en matière de circulation et de sécurité routière. L’Éducation nationale pourra conclure des conventions avec les professeurs et moniteurs des auto-écoles pour assurer l’apprentissage de la conduite des véhicules automobiles aux élèves du cycle terminal du second degré.
GESTION DÉMOCRATIQUE
1. Le service public de l’Éducation nationale sera géré démocratiquement, à tous les niveaux, par des conseils composés par tiers de représentants des pouvoirs publics, des personnels et des diverses catégories d’usagers (notamment parents d’élèves, élèves et étudiants, syndicats représentatifs).
2. La gestion tripartite ne saurait porter atteinte aux responsabilités et prérogatives qui incombent, en dernier ressort, au pouvoir politique.
Demeurent hors des attributions de quelque organisme de gestion ou d’administration que ce soit toutes les décisions d’ordre législatif, lesquelles ne peuvent émaner que du Parlement.
Selon le voeu constant des républicains et pour répondre au besoin de l’éducation, tous les secteurs d’enseignement public, dispersés entre plusieurs ministères ou secrétariats d’État, seront réunis dans le service public de l’Éducation nationale. Ainsi, par exemple, de l’éducation physique et sportive, de l’enseignement agricole, de l’éducation surveillée, des enseignements artistiques, du service de la santé scolaire et universitaire, etc… L’Éducation nationale établira les relations nécessaires, dans chaque secteur, avec les autres services publics, ainsi qu’avec l’économie. L’Éducation nationale regroupera également en son sein les établissements provenant des enseignements privés après leur nationalisation (cf. article 11 ci-dessous).
La réforme démocratique implique que le ministère de l’Éducation nationale et l’ensemble de l’administration qu’il dirige soient réorganisés, dotés de personnels qualifiés nombreux, d’installations et de moyens suffisants. Le ministère recherchera les moyens propres à subordonner les impératifs techniques d’une gestion moderne à la décision et au contrôle démocratiques et à l’intérêt des personnes. Il sera tenu de développer une action approfondie et permanente contre toute forme de bureaucratie et de centralisation autoritaire.
3. Chaque établissement scolaire sera doté d’un conseil de gestion, où seront représentés l’administration, les personnels, les parents et les élèves, les collectivités locales. Ce conseil disposera de pouvoirs réels, en particulier dans le cadre de l’autonomie pédagogique définie à l’article 2, alinéa 3, de la présente loi d’orientation.
Ainsi ce conseil pourra émettre un avis sur toute question financière, administrative, pédagogique ou disciplinaire posée à l’établissement. Il pourra formuler toutes propositions et être consulté sur des questions générales relatives à l’Éducation nationale. Il permettra aux administrateurs, aux enseignants, aux parents et aux élèves, aux élus municipaux et départementaux, aux responsables de la vie économique, d’étudier les problèmes de carrières et de débouchés, de proposer ou d’organiser des expériences pédagogiques, etc… Des rapports nouveaux s’établiront entre parents et enseignants, enseignants et élèves, parents et élèves, entre l’école et le milieu social. Une vie démocratique devra se développer dans chaque établissement. Dans le cadre des lois, le règlement intérieur sera élaboré par le conseil d’établissement.
Dans les communes les plus peuplées un conseil consultatif pourra être formé par des représentants de tous les conseils d’établissement.
Dans chaque département, un conseil de gestion exercera ses pouvoirs auprès du conseil général et de l’administration académique de l’Éducation nationale, en particulier dans les domaines tels que l’organisation de la semaine scolaire, la formation professionnelle, la lutte contre les retards scolaires, etc… Il pourra désigner des délégués auprès des communes et des établissements scolaires. Il sera obligatoirement consulté sur les questions relatives à la carte scolaire et aux transports scolaires. Il aura un rôle consultatif sur toutes questions d’intérêt national qui lui seront soumises par le Conseil supérieur dans le cadre de ses attributions, ainsi qu’un droit de critique et de propositions sur toute question relative à l’Éducation nationale.
Un conseil de gestion régional fonctionnera selon les mêmes principes.
Au niveau national, le Conseil Supérieur de l’Éducation nationale tripartite assumera, en premier lieu, auprès des pouvoirs publics une fonction consultative générale, permanente et obligatoire. Il aura le droit d’initiative, en particulier pour contribuer à la préparation des projets de loi. Il pourra être entendu par le Parlement. Il sera obligatoirement consulté par le ministre sur toute matière d’ordre réglementaire : tout projet de décret, d’arrêté ou de règlement repoussé par lui sera nul et non avenu ; ce droit s’exercera dans le cadre de la législation. En même temps, le Conseil Supérieur aura le droit de contrôle et d’enquête sur le fonctionnement de l’Éducation nationale. Il contribuera, dans le cadre de la législation, à assurer le respect de la laïcité du service public, ainsi qu’à garantir l’indépendance morale, les libertés et droits fondamentaux des personnels comme des élèves et des étudiants. Il jugera en appel des conflits en matière disciplinaire.
Une loi précisera, après consultation de tous les intéressés, la composition, le mode d’élection ou de désignation, la compétence des divers conseils de gestion. Tous les moyens d’information, d’expression et d’intervention nécessaires leur seront attribués.
4. Une organisation particulière est prévue pour l’enseignement supérieur. La loi précisera son articulation avec les conseils départementaux et régionaux et avec le Conseil Supérieur de l’Éducation nationale.
NATIONALISATION DES ENSEIGNEMENTS PRIVÉS
1. Les établissements privés d’enseignement percevant des fonds publics seront, en règle générale, intégrés au nouveau service public de l’Éducation nationale. Ils bénéficieront de la réforme démocratique et pourront lui apporter leur propre contribution. La situation des établissements privés ne recevant pas de fonds publics fera l’objet d’un examen en vue de leur intégration éventuelle.
2. Les établissements privés de formation professionnelle seront, en règle générale, intégrés à l’Éducation nationale dès la mise en application de la présente loi d’orientation, quel que soit leur statut. Cette disposition vise en premier lieu les établissements patronaux ou à but lucratif. Elle tend à permettre la réalisation des mesures d’ensemble prévues au titre VI pour l’expansion et la modernisation de la formation professionnelle.
3. Les locaux des établissements privés d’enseignement liés par contrat à l’État seront transférés au service public en fonction des besoins, selon des modalités qu’une loi définira. Toute spoliation est exclue.
4. Une loi, élaborée après consultation de tous les intéressés, définira les procédures d’intégration progressive des personnels des établissements privés d’enseignement liés par contrat à l’État. Ces procédures devront garantir le droit d’option individuelle, le respect des qualifications (expérience acquise aussi bien que diplômes) et le bénéfice de tous les droits et avantages du service public, en particulier de ceux qui sont définis aux articles 4 (alinéa 3), 9 (alinéa 3) et au titre IX de la présente loi d’orientation. L’intégration ne saurait contrevenir aux principes laïques définis à l’article 9 (alinéa 2).
5. L’application de la nationalisation aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle sera définie par une loi particulière, élaborée après consultation de tous les intéressés.
6. L’existence du service public démocratique de l’Éducation nationale exclut toute allocation de fonds publics, sous quelque forme que ce soit, à un établissement privé d’enseignement. Un délai suffisant sera accordé aux établissements privés confessionnels pour leur permettre d’opter entre les subventions de l’État, ce qui les conduira à la nationalisation, et le financement par les seuls fonds privés.
1. La nation reconnaît la valeur éducative et sociale de l’école maternelle.
En application des principes définis à l’article 5, alinéas 1 et 7, de la présente loi d’orientation, c’est à l’Éducation nationale qu’incombe la tâche d’animer et de développer les écoles maternelles laïques, gratuites et ouvertes à tous les enfants avant l’âge de l’obligation scolaire.
2. Toute école maternelle doit être, non une simple juxtaposition de classes, mais une maison entièrement conçue en fonction des besoins des enfants.
La moyenne fixée pour l’ouverture d’une classe sera progressivement ramenée à vingt-cinq inscrits.
3. Les institutrices et les instituteurs des écoles maternelles travailleront d’après des principes et un plan général établis par le ministère de l’Éducation nationale. Ils bénéficieront d’une très grande marge d’initiative. Ils coopéreront avec les parents.
La qualification des institutrices et instituteurs des écoles maternelles doit être au niveau de celle des autres enseignants du corps unique des maîtres de l’école fondamentale (cf. Titre IX). Prenant en charge l’éducation générale du jeune enfant, ils bénéficieront d’une formation approfondie, théorique et pratique, en psychologie, physiologie, linguistique, mathématiques, esthétique. Ils pourront, dans chaque école, se répartir certaines tâches spéciales.
4. Tout projet d’urbanisme doit comporter obligatoirement l’implantation des écoles maternelles correspondant à la population prévue. L’Éducation nationale est tenue de créer les postes budgétaires suffisants dès le début de l’attribution des logements.
5. L’implantation des écoles maternelles en milieu rural requiert le respect des exigences relatives à l’accueil des enfants et à la qualité de l’intervention pédagogique. Les conseils municipaux et généraux, les conseils régionaux et départementaux de gestion de l’Éducation nationale étudieront les solutions les plus adéquates pour réaliser cette implantation en fonction de ces exigences.
Toutes dispositions empêchant, en fait, de construire ou de maintenir des écoles maternelles dans les communes ou localités peu peuplées sont abrogées.
6. Les écoles maternelles s’articuleront avec le dispositif des crèches.
Elles devront s’insérer dans l’ensemble du dispositif de protection et d’aide à l’enfance, en particulier sur le plan de la prévention des maladies et des déficiences.
MAISONS DE L’ENFANCE
L’éducation nationale expérimentera, en coopération avec les services et collectivités intéressés, l’organisation de maisons de l’enfance dans certaines localités. Ces maisons accueilleront les enfants de la naissance jusqu’à six ou sept ans, en regroupant divers services d’éducation, de protection et de santé.
1. Le tronc commun de promotion éducative constitue la pièce maîtresse de l’école fondamentale unifiée. Obligatoire à partir de l’âge de six ans, il succède à l’école maternelle et prépare soit à des études générales continuées, soit à une formation professionnelle.
2. Sous réserve de son extension éventuelle à la classe de seconde en fonction des résultats de l’étude prévue à l’article 5, alinéa 5, de la présente loi, le tronc commun comprend neuf classes successives, ainsi désignées : cours préparatoire, classes 2, 3 …. 9. Les établissements du tronc commun seront appelés collèges.
3. Le tronc commun suppose l’élimination de toutes différences entre sections de niveau inégal. Il ne saurait comprendre ni «classes homogènes» ni « groupes de niveau » stables.
Tous les élèves y accomplissent ensemble leurs études selon les mêmes programmes, sous la conduite d’enseignants appartenant au corps unique des maîtres de l’école fondamentale prévu au Titre IX.
4. La lutte contre les retards scolaires est un aspect décisif de la lutte contre la ségrégation sociale. Des plans successifs aboutiront à ce que la quasi-totalité des élèves suivent une scolarité sans redoublement, en restant au sein des classes communes et en parvenant au niveau requis pour entrer dans l’une des sections du cycle terminal du second degré.
5. Le tronc commun est le degré par excellence où tous les élèves doivent acquérir à la fois
– une éducation linguistique (langue maternelle, langues étrangères) ;
– une éducation mathématique ;
– une éducation dans le domaine des sciences de la nature et de la vie ;
– une éducation dans le domaine de certaines sciences humaines (histoire, géographie, économie) ;
– une éducation technologique, théorique et pratique ;
– une éducation artistique ;
– une éducation physique et sportive ;
– une éducation civique et morale.
Les différents éléments de cette éducation seront combinés entre eux et dosés à chaque niveau en fonction de l’âge des enfants.
COURS PRÉPARATOIRE
1. Le cours préparatoire a une fonction spécifique. C’est principalement la classe d’apprentissage de la lecture et de l’écriture et d’une première éducation mathématique. Il est essentiel que l’accent mis sur ces disciplines ne conduise pas à abandonner les autres aspects de l’éducation (éducation physique, artistique, etc … ).
2. Aucune classe du cours préparatoire ne peut avoir plus de vingt-cinq élèves.
3. Bien que l’école maternelle et le cours préparatoire aient chacun leur fonction propre et distincte, il conviendra d’organiser le plus possible les cours préparatoires selon les méthodes employées dans les écoles maternelles.
Une étude théorique et expérimentale approfondie indiquera s’il convient ou non de rattacher le cours préparatoire aux écoles maternelles.
Les maisons de l’enfance, dont l’expérimentation est prévue à l’article 14 de la présente loi, pourront comprendre un cours préparatoire.
4. Les institutrices et instituteurs du cours préparatoire appartiendront au corps unique des maîtres de l’école fondamentale.
DE LA 2e A LA 9e CLASSES
1. Le contenu de l’éducation des huit classes qui succèdent au cours préparatoire sera entièrement réévalué et repensé conformément aux principes et aux objectifs généraux énoncés au titre I de la présente loi. Cette rénovation complète est appelée, dès le début de l’école obligatoire, par des exigences convergentes :
– exigences du développement intégral de la personnalité ;
– exigences de la démocratie politique et économique ;
– exigences du progrès des connaissances et de la culture et de la transformation révolutionnaire qui fait pénétrer les sciences et les techniques de pointe, à une échelle sans précédent, dans tous les domaines.
Une commission nationale composée de spécialistes des diverses disciplines, de praticiens de l’enseignement, de psychologues, de médecins, de représentants qualifiés des parents, et, en général, de tous les intéressés élaborera un programme-cadre embrassant tous les domaines de l’éducation, ainsi que des programmes particuliers. Les syndicats représentatifs des personnels de l’Éducation nationale seront invités à participer à ce travail. Le Conseil Supérieur de l’Éducation nationale émettra sur les programmes un avis obligatoire pour le ministre.
Les programmes, les horaires hebdomadaires et l’organisation des écoles prévoiront le temps et les moyens indispensables à l’éducation technologique pratique de tous les élèves dans des ateliers scolaires ou dans des entreprises, selon les principes définis à l’article 2, alinéa 2, de la présente loi d’orientation. L’acquisition des connaissances et capacités correspondantes fera l’objet d’un contrôle. L’entrée du travail technique dans l’éducation générale doit transformer profondément l’éducation dans son ensemble.
2. Dès que l’âge des élèves le permettra, une très large gamme d’options se greffera sur l’éducation, la diversifiant, l’enrichissant, favorisant l’orientation, mais n’aboutissant en aucun cas au maintien ou à la reconstitution de sections différenciées ou cloisonnées.
Les options incluront les activités culturelles les plus diverses, pouvant porter sur des compléments aux programmes ou sur tous autres sujets. Ces activités s’exerceront sous des formes multiples, en particulier au sein de cercles et de clubs.
Les horaires hebdomadaires et quotidiens réserveront un temps important aux options. Les règles de création, d’organisation, de fréquentation des cercles et des clubs, fonctionnant le plus souvent à l’intérieur des établissements scolaires, seront souples.
Elles laisseront aux élèves une part, de plus en plus grande avec l’âge, dans la direction et la gestion. Le conseil de gestion de chaque établissement aura compétence pour proposer ou ratifier la liste des activités optionnelles.
Tous les élèves choisiront des options, participeront à des activités de cercles et de clubs, tous restant, pour acquérir l’éducation de base, groupés dans les classes communes, quels que soient leur niveau personnel et leurs options.
Les choix des élèves pourront être constants jusqu’à la fin du tronc commun, ou bien les jeunes pourront changer d’options au fil des années. Des conseils seront prodigués aux élèves pour les aider à constituer des groupements d’activités à la fois bien diversifiées et équilibrées. Ces activités pourront être poursuivies, sous des formes très souples, au-delà du tronc commun, dans le cycle terminal.
Les cercles et les clubs contribueront à lier l’école et la vie. Ils ouvriront l’établissement scolaire sur tous les aspects de la culture et de la société ; l’école jouera en retour un rôle fécond dans le développement culturel. Une collaboration pourra s’instaurer entre les enseignants et d’autres éducateurs ou animateurs. Par exemple, des créateurs et des interprètes pourront participer aux activités littéraires et artistiques des clubs et des cercles.
Par la liberté de leur programme, les cercles et les clubs introduiront la diversité et la souplesse dans l’éducation. Leur activité contribuera à établir des rapports nouveaux entre maîtres et élèves. Les enseignants auront faculté de promouvoir dans ce cadre des enseignements ayant valeur expérimentale.
Pour garantir l’unité de la vie de l’enfant et du jeune, nulle frontière rigoureuse ne sera tracée entre les clubs et les cercles, d’une part, et la classe, d’autre part. C’est toute la pédagogie qui doit être fondée sur la participation active, la motivation et le dialogue.
L’Éducation nationale devra doter les cercles et les clubs des moyens matériels nécessaires. Le service des personnels sera établi en tenant compte de leur participation aux activités diversifiées.
3. Dès la 2e classe du tronc commun l’éducation relèvera d’une équipe éducative, comprenant à la fois des maîtres des diverses disciplines et d’autres personnels, tels que médecins, psychologues, etc. Tous les enseignants appartiendront au corps unique des maîtres de l’école fondamentale.
Dans les premières classes, l’équipe éducative devra être aussi peu nombreuse que possible. Elle sera groupée autour d’un maître principal, titulaire d’une maîtrise de linguistique et mathématique, qui sera créée conformément aux dispositions de l’article 37 ci-dessous. Des mesures seront prises pour que la même équipe éducative puisse suivre un même groupe d’élèves pendant plusieurs années successives.
Dans les classes suivantes, l’équipe éducative comprendra des maîtres plus nombreux selon la diversité des disciplines inscrites au programme. L’un de ces maîtres exercera les fonctions de maître principal, chargé de coordonner et d’animer l’équipe.
Les institutrices et instituteurs en exercice lors de la mise en oeuvre de la présente loi d’orientation pourront opter entre la fonction de maître principal des premières classes et celle de maître spécialisé dans l’enseignement d’une discipline. Les enseignants en exercice appartenant aux autres catégories seront encouragés à devenir des maîtres spécialisés des divers niveaux.
RATTRAPAGE
1. Le souci du rattrapage doit être permanent à tous les niveaux de l’Éducation nationale.
2. Dans le tronc commun, dès le cours préparatoire, un système diversifié de rattrapage et de soutien sera institué.
Dès qu’un élève connaîtra une difficulté importante, l’équipe éducative examinera son cas. Les parents, le médecin, le psychologue et toutes personnes qualifiées seront consultés selon les besoins. L’élève recevra les formes d’aide appropriées. Sur le plan proprement scolaire, il pourra, sans quitter la classe commune, bénéficier du soutien des enseignants au sein d’un groupe de rattrapage créé dans la ou les matières où il est menacé de prendre du retard. Tout sera mis en oeuvre pour que son problème soit résolu sans qu’il ait à entrer dans une section ou un groupe de niveau séparé. D’autres formes de rattrapage intégrées à l’éducation commune pourront être expérimentées et, en cas de succès, généralisées.
Dans un nombre de cas aussi réduit que possible, pendant la période transitoire de mise en oeuvre de la réforme, des élèves pourront être affectés à des classes de rattrapage particulières. Dotées d’enseignants spécialement préparés à cette tâche, ne dépassant jamais l’effectif de 25 élèves, ces classes devront avoir, en principe, le même programme que les classes communes. Aussi longtemps que les classes de rattrapage seront inévitables, tous leurs élèves seront destinés à rejoindre les classes communes le plus vite possible.
MESURES TRANSITOIRES
L’installation du tronc commun de l’école fondamentale appelle notamment comme premières mesures :
– abaissement progressif des effectifs vers le maximum de 25 élèves par classe ;
– plan quinquennal de premier recyclage de l’ensemble des enseignants en exercice dans les écoles primaires, les C.E.S. et les C.E.G. existants ;
– institution progressive des équipes éducatives à tous les niveaux ;
– suppression des cloisonnements entre les trois types d’enseignement juxtaposés dans les C.E.S. à partir de l’actuelle sixième ; transformation des classes de transition en classes de rattrapage ; organisation de classes préparatoires et pré-professionnelles (article 27 ci-dessous) ;
– institution de cours de rattrapage à l’intérieur des classes communes dès le cours préparatoire, particulièrement en français et en mathématiques ;
– pour les enfants qui n’ont pas à la maison des conditions de travail convenables au point de vue matériel et culturel, institution de la journée scolaire prolongée, gratuite et volontaire, permettant à ces élèves de vivre continûment dans un milieu éducatif, qui leur offrira, sous la conduite d’enseignants et d’éducateurs qualifiés, des possibilités d’étude et de révision, des activités culturelles diversifiées, des possibilités de détente ;
– suppression des limites d’âge pour l’accès aux divers niveaux de l’Éducation nationale, y compris aux établissements de l’enseignement supérieur.
BILINGUISME EN ALSACE-MOSELLE
Dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la réforme démocratique permettra à tous ceux qui le désirent de bénéficier d’un enseignement leur assurant la connaissance rapide de la langue française, langue nationale, et de la langue allemande, langue originelle de culture pour la majorité des travailleurs des villes et des campagnes.
A partir de l’école maternelle, tout établissement scolaire de ces départements offrira aux enfants et à leur famille la possibilité d’opter entre un enseignement bilingue (partant soit du français, soit de l’allemand) et un enseignement en français, de manière à supprimer toute discrimination, toute opposition et à faciliter au contraire toutes les transitions possibles avec la plus grande souplesse.
Après étude et expérimentation, des mesures spécifiques seront mises en place :
– pour une formation approfondie des maîtres chargés de ce travail ;
– pour l’édition de livres adaptés ;
– pour l’utilisation des moyens audio-visuels.
Une loi de programme définira les étapes de mise en application.
ENFANTS DE TRAVAILLEURS IMMIGRÉS
L’éducation des enfants de travailleurs immigrés doit leur permettre :
– l’apprentissage rapide de la langue française orale et écrite, leur assurant une communication la plus riche possible avec leur milieu ;
– le maintien d’un contact permanent avec leur langue, leur culture d’origine, notamment dans des activités de cercles et de clubs ;
– une promotion réelle, par des mesures d’adaptation, de compensation, de soutien, de rattrapage, continues ou occasionnelles, leur assurant au maximum le développement de leurs capacités, leur épanouissement, une formation complète humaine, civique et professionnelle.
A cet effet, à chaque niveau de l’enseignement, des mesures spécifiques d’initiation à la langue française, de rattrapage et de soutien, seront prises, excluant toute séparation de caractère ségrégatif.
A l’âge où l’enseignement d’une langue étrangère est inscrit au programme général, toutes mesures seront prises pour que soit enseignée à ces enfants leur langue d’origine, et ce sans discrimination.
TITRE VI
CYCLE TERMINAL DU SECOND DEGRÉ
ARTICLE 22
PRINCIPES ET OBJECTIFS DU CYCLE TERMINAL DU SECOND DEGRÉ : LYCÉES
1. Le cycle terminal du second degré fait suite au tronc commun.
Il comprend trois années, sauf dans le cas où les particularités d’une formation professionnelle déterminée conduisent à l’allonger, comme il est dit à l’article 25, alinéa 5.
Sa durée sera réduite à deux années au cas où les recherches prévues à l’article 5, alinéa 5, concluront à la nécessité de prolonger le tronc commun d’une classe.
Les classes qui composent le cycle terminal sont ainsi désignées : classes 10, 11, 12.
2. La réforme démocratique aboutira, par étapes, à la création d’un ensemble coordonné et décloisonné d’enseignements généraux et professionnels, qui pourront conduire soit à une activité professionnelle, immédiate, soit vers l’enseignement supérieur.
Les distinctions existantes entre C.E.T., lycées techniques, lycées classiques et modernes seront progressivement effacées. S’y substitueront, autant que possible, des établissements communs ou des associations d’établissements, qui réuniront les divers types d’éducation du cycle terminal, l’essentiel étant d’assurer un maximum de continuité. Ces établissements communs ou associés seront appelés lycées.
Au terme de l’application de la réforme, un lycée comprendra normalement
– des sections générales,
– des sections professionnelles.
3. Les enseignants de toutes les sections des lycées appartiendront au corps unique des maîtres de l’école fondamentale. Ils constitueront, dans chaque classe, une équipe éducative.
VIE DÉMOCRATIQUE DANS LES LYCÉES
1. A l’opposé des conceptions répressives qui aggravent la crise de l’éducation, il n’y a d’ordre vrai que dans et par la démocratie ; la discipline scolaire ne peut reposer que sur l’établissement de relations nouvelles, impliquant notamment un élargissement des droits des lycéens.
2. Les articles 24 et suivants de la présente loi définissent un type d’éducation qui permettra à tous les lycéens de déployer leurs capacités en les portant au plus haut niveau possible.
3. Les activités diversifiées de clubs et de cercles se développeront dans les lycées, sans distinction entre élèves des sections professionnelles et élèves des sections générales.
Les foyers socio-éducatifs jouiront d’une autonomie plus grande et rempliront des fonctions plus étendues que dans le tronc commun.
4. Dans les sections professionnelles, les élèves connaîtront les techniques les plus modernes. L’enseignement privilégiera les formes et méthodes de travail correspondant à l’état le plus avancé des sciences et de la production. Il incitera le futur travailleur à l’acquisition personnelle du savoir, au travail créateur, au perfectionnement, à l’invention. Il confiera aux élèves l’accomplissement de certaines tâches et la solution de certains problèmes.
Les délégués des élèves auront un droit de proposition et de contrôle pour l’aménagement des horaires, l’organisation du travail, l’hygiène et la sécurité.
5. La reconnaissance du droit syndical aux lycéens de toutes sections et le développement des structures représentatives à l’intérieur des lycées favoriseront l’éclosion d’une vie démocratique réelle, éloignée à la fois de la répression et de l’anarchie.
L’unité de base sera la classe. Chaque classe pourra élire un ou deux délégués. Le conseil des élèves réunira l’ensemble des délégués de classe du lycée. Il pourra désigner un bureau qui siégera chaque semaine ou chaque quinzaine, et plus souvent en cas d’urgence. La direction du lycée discutera de tout problème grave avec le conseil des élèves.
Pour garantir la représentativité des délégués aussi bien devant leurs camarades que devant l’administration, les élections se dérouleront sur des programmes après discussion. Le même sérieux régira l’élection des élèves au conseil de gestion du lycée et au conseil du foyer socio-éducatif.
6. L’information politique s’exercera, en dehors des classes, comme l’une des activités normales du foyer socio-éducatif. Elle sera exclusivement volontaire. Elle sera conçue de façon ouverte, en faisant appel aux divers courants d’opinion, en suscitant le débat, en n’esquivant pas les problèmes fondamentaux.
Les lycéens auront, en dehors de leurs heures de classe, le droit de lire la presse politique et de se réunir. Ils auront le droit d’afficher sur des panneaux réservés, le droit de formuler des propositions orales, individuelles ou collectives.
7. Le règlement du lycée, librement débattu avec la participation des enseignants, des lycéens et des parents, sera réexaminé, et éventuellement mis au point, d’année en année.
Il posera les problèmes de discipline et d’assiduité en termes sociaux, psychologiques, pédagogiques et n’envisagera l’utilisation des sanctions que comme un recours ultime, exceptionnel. Pour toute sanction, il prévoira des procédures de défense et d’appel.
8. La définition du service des personnels des lycées, enseignants et administrateurs, tiendra compte des tâches nouvelles nombreuses et complexes impliquées par la réforme démocratique.
SECTIONS GÉNÉRALES
1. Tous les élèves de toutes les sections des lycées continueront à acquérir une culture générale aussi développée que possible. Des enseignements généraux comme l’éducation physique et sportive, l’éducation civique et morale, l’éducation philosophique, occuperont une place de choix dans toutes les sections, y compris les sections professionnelles.
2. L’acquisition d’une culture générale sera prédominante dans les sections générales.
Ces sections ont pour objet de consolider et développer les connaissances, capacités et techniques acquises dans le tronc commun. L’enseignement pourra être progressivement différencié en fonction des études ultérieures envisagées par les élèves ; mais aucune orientation ne devra être irréversible.
La 10e classe des sections générales aura pour tous les élèves, un programme et des horaires communs. La 11e et la 12e classes comporteront à la fois d’importants éléments communs à tous les élèves et des groupements de matières centrés sur des dominantes.
Les programmes et la façon de les mettre en oeuvre viseront à habituer les lycéens aux méthodes du travail scientifique indépendant, à développer leurs capacités créatrices, leur jugement et leur aptitude à l’initiative. Des formes et des méthodes d’acquisition du savoir et du développement des capacités proches de celles de l’enseignement supérieur seront progressivement introduites : études personnelles, travaux de groupe, exercices, discussions, entretiens, etc.
Une loi définira les conditions d’obtention du baccalauréat, à la fois pour sanctionner les études générales du cycle terminal et pour donner le droit d’entrer dans l’enseignement supérieur.
3. Tous les élèves des sections générales des lycées pourront continuer, s’ils le désirent, à consacrer une partie de l’horaire fixé par les programmes à un travail technique comportant une initiation professionnelle dans les ateliers scolaires ou dans les entreprises. Une loi précisera à quels métiers ils pourront être ainsi initiés et quel degré de qualification ils devront atteindre.
SECTIONS PROFESSIONNELLES
1. Tout individu vivant sur le territoire de la République a droit à une formation professionnelle, telle que définie à l’article 5 de la présente loi d’orientation.
Ce droit est un aspect du droit à l’éducation, il contribue à la réalisation du droit au métier.
La Nation a pour devoir d’organiser, dans le cadre du service public, un système cohérent, habilité à donner à tous, jeunes et adultes, à la fois la formation professionnelle initiale et la formation permanente. Ce système doit associer tous les moyens complémentaires existants, à développer ou à créer.
Au terme de l’application de la réforme démocratique, tous les jeunes gens et toutes les jeunes filles recevront leur formation professionnelle initiale, après le tronc commun, dans les lycées.
2. Le contenu de la formation professionnelle sera déterminé par le développement de la démocratie économique et politique, la révolution scientifique et technique, les perspectives de l’économie nationale.
La formation professionnelle doit éduquer des travailleurs qualifiés, capables d’accomplir un travail de haute valeur dans l’exercice de leur métier, aptes aux renouvellements, prêts à se saisir du maximum de responsabilités dans la gestion des entreprises et dans la direction de la vie économique et politique.
Le contenu de chacune des formations professionnelles particulières sera défini et périodiquement révisé par la coopération de l’Éducation nationale, des organismes économiques et des syndicats représentatifs. Les institutions scientifiques et les entreprises nationalisées seront spécialement associées à ce travail.
3. Toute formation professionnelle comporte un aspect théorique et un aspect pratique.
Toute formation professionnelle donnée dans un lycée sera un enseignement de culture moderne, défini selon une conception d’ensemble qui vise à la fois à faire du travailleur non un outil ou un appendice interchangeable des machines et des procédés de fabrication et de gestion, mais une personnalité capable de maîtriser la technique et l’économie.
Chaque formation professionnelle particulière implique : la poursuite de l’acquisition d’une culture générale, qui comportera notamment une formation mathématique associée à des connaissances suffisantes des sciences expérimentales et de leurs méthodes et à l’amélioration des moyens d’expression (langue maternelle et langues étrangères) ; une incitation aux processus fondamentaux de la technologie et de l’économie ; une éducation physique et sportive ; une préparation aux responsabilités civiques et sociales.
4. Les sections professionnelles des lycées comprendront notamment :
– des sections conduisant à un baccalauréat de technicien ;
– des sections conduisant à un certificat d’aptitude professionnelle.
La possession du baccalauréat de technicien permet, soit d’occuper un emploi correspondant à la qualification, soit d’accéder directement à l’enseignement supérieur.
La possession du certificat d’aptitude professionnelle donne droit à des emplois d’ouvrier, d’agriculteur, d’employé qualifiés.
Des passages réciproques seront aménagés à tous les niveaux. Des classes d’accueil et de rattrapage permettront aux titulaires du certificat d’aptitude professionnelle de se préparer à l’entrée dans l’enseignement supérieur.
5. La durée de la formation professionnelle, fixée en règle générale à trois années, pourra être prolongée de six mois ou un an. La plupart des sections professionnelles, qu’elles préparent au baccalauréat de technicien ou au certificat d’aptitude professionnelle, s’organiseront en deux étapes principales :
– une ou deux classes de formation technologique et professionnelle de base,
– une ou deux classes de formation professionnelle spécialisée.
Dans le cadre de la formation technologique et professionnelle de base les jeunes acquièrent les connaissances et les capacités nécessaires à l’exercice de tous les métiers ou de métiers appartenant à la même branche ou à la même famille. Cette formation aura un caractère très large, englobant non seulement les enseignements de culture générale, mais aussi l’étude des caractéristiques propres à de grandes branches ou familles de métiers, ainsi que des lignes de force inter-branches, des connaissances de technologie générale, d’économie, d’organisation du travail et de la production. Cette formation de base préparera à la formation permanente et aux changements pouvant survenir au long de la vie professionnelle.
6. L’organisation des sections professionnelles s’appliquera aux formations professionnelles agricoles selon des modalités qui respecteront les caractéristiques originales et les acquis exemplaires de l’enseignement technique agricole public.
APPRENTISSAGE
1. Pendant une période transitoire dont l’évolution de la société et de l’économie déterminera la durée, des jeunes gens et des jeunes filles, âgés d’au moins seize ans, ayant accompli les neuf classes du tronc commun ou provenant des classes préparatoires et pré-professionnelles visées aux articles 19 et 27 de la présente loi, pourront acquérir une formation professionnelle en apprentissage sous contrat.
2. La formation en apprentissage est une formation d’une durée de deux à trois ans, qui ménage, à côté de la formation pratique dans une entreprise, des enseignements complémentaires, regroupant les apprentis à périodicité régulière.
Elle doit éviter une spécialisation trop étroite, et développer la capacité d’évoluer et l’aptitude à tirer profit d’une formation permanente. Chaque année, les apprentis consacreront quatre cents heures à des enseignements généraux et théoriques harmonisés avec leur formation pratique. Ces quatre cents heures seront comptées comme temps de travail.
Les enseignements généraux et théoriques seront donnés dans des centres dépendant de l’Éducation nationale. Une loi définira les modalités de création de ces centres. Tout le possible sera fait pour qu’ils soient installés dans les lycées. Les quatre cents heures obligatoires pour tous les apprentis devront être convenablement réparties dans l’année, la semaine et la journée. L’Éducation nationale est tenue d’établir les relations nécessaires avec les professions.
3. Une loi fixera les conditions dans lesquelles un contrat doit être conclu entre l’employeur et l’apprenti.
L’employeur devra justifier de l’inscription de l’apprenti à un centre de l’Education nationale. Les horaires de travail ne devront jamais dépasser quarante heures hebdomadaires, y compris le temps consacré aux enseignements généraux et théoriques.
L’employeur ne devra confier à l’apprenti que des travaux et services se rapportant à la profession visée par le contrat. La formation dans l’entreprise devra se faire selon une progression comportant le passage à divers postes de travail. L’employeur est tenu de présenter l’apprenti à un examen en vue de l’obtention d’un diplôme délivré par l’Éducation nationale.
L’apprenti a droit à un salaire égal au moins à 40 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance dès la première année, à 60 % la deuxième année, à 80 % la troisième année.
L’apprenti peut adhérer au syndicat de son choix. L’application de la loi fera l’objet d’un contrôle tripartite des syndicats représentatifs, des organisations d’employeurs et de l’Éducation nationale.
4. Le système de l’apprentissage évoluera progressivement pour faire place à la formation de tous les jeunes à temps plein dans les lycées.
CLASSES PRÉPARATOIRES ET PRÉ-PROFESSIONNELLES
Pendant la période transitoire de mise en oeuvre de la réforme démocratique, en plus des moyens de rattrapage visés aux articles 18 et 19, et en vue de faciliter à certains adolescents l’accès à une formation professionnelle de qualité, il sera institué des classes préparatoires et pré-professionnelles. Celles-ci pourront accueillir certains jeunes après la septième ou la huitième classe du tronc commun. Elles seront conçues en vue du rattrapage et de l’accueil dans les sections professionnelles ou dans l’apprentissage, et ne sauraient se confondre avec une préparation écourtée à un emploi sans qualification.
RELATIONS ENTRE L’ÉDUCATION NATIONALE ET L’ÉCONOMIE
1. La définition et la réalisation de l’éducation générale et de la formation professionnelle impliquent une collaboration de l’Éducation nationale et de l’économie.
Une loi définira les conditions dans lesquelles cette coopération pourra s’établir, en particulier avec les ministères dont relèvent les diverses activités professionnelles.
2. Une partie de la formation technologique et professionnelle des lycéens pourra être organisée au sein des entreprises, sous la responsabilité de l’Éducation nationale et sous le contrôle des syndicats représentatifs. Il s’agit, en particulier, du travail technique des élèves des sections générales et des aspects pratiques de la formation professionnelle spécialisée.
Des conventions conclues entre l’Éducation nationale et les entreprises publiques et nationalisées revêtiront une importance et un caractère particuliers.
A mesure de l’extension et de la démocratisation des nationalisations, ce type de conventions contribuera à améliorer et approfondir les nécessaires rapports réciproques entre l’Éducation nationale et l’économie.
3. Les employeurs publics et privés seront tenus de reconnaître la validité de tous les titres, diplômes et attestations délivrés par l’Éducation nationale. Ils devront embaucher leurs titulaires dans des emplois et sous des conditions correspondant à la qualification.
Cette reconnaissance sera contenue, en particulier, dans les conventions collectives.
4. Tous les fonctionnaires de l’Éducation nationale dispensant un enseignement dans les sections professionnelles, quelles que soient leurs disciplines, seront recrutés au même niveau et dans les mêmes conditions de carrière et de service que les autres enseignants de l’école fondamentale.
La loi prévue au 1er alinéa du présent article définira les conditions dans lesquelles ces enseignants pourront effectuer des stages périodiques en milieu professionnel. Elle définira également les cas dans lesquels des ingénieurs, cadres, techniciens et ouvriers qualifiés pourront participer pour des périodes limitées à des fonctions d’enseignant, sans rupture du contrat de travail, sous le contrôle de l’Éducation nationale.
FORMATION PROFESSIONNELLE DES JEUNES FILLES
Toutes les dispositions de la présente loi d’orientation s’appliquent sans discrimination selon les sexes.
En conséquence, l’accès à toutes les sections des lycées, et spécialement aux sections professionnelles, sera ouvert aux jeunes filles dans des conditions de complète égalité avec les jeunes gens, sous la seule réserve des dispositions contraires du code du travail.
Les dispositions des articles 26 (relatif à l’apprentissage) et 28, alinéa 3 (relatif à la reconnaissance des qualifications), s’appliquent aussi bien aux jeunes filles qu’aux jeunes gens.
Le personnel de sexe féminin aura accès à tous les emplois sans discrimination dans tous les secteurs publics ou privés.
FORMATION PROFESSIONNELLE DES TRAVAILLEURS IMMIGRÉS
Une loi fixera les dispositions spéciales pour la formation générale et professionnelle à laquelle les travailleurs immigrés ont droit.
1. D’abord scolaire, puis professionnelle, l’orientation doit contribuer à la réalisation du droit à la culture et du droit au métier.
Elle a pour but un choix actif et conscient de chaque jeune, grâce aux capacités formées en lui et aux informations qui lui seront fournies sur les besoins et sur les possibilités de la société.
2. L’orientation démocratique n’élimine pas les élèves par l’échec devant une série de barrages, mais les guide par le succès à travers l’ensemble des activités de l’école fondamentale.
Elle suppose une observation et une stimulation continues de chaque élève depuis son entrée dans l’Éducation nationale.
La réforme démocratique supprime toute répartition des élèves entre sections différentes jusqu’à la fin du tronc commun. Aucun examen n’existera avant l’âge de dix-huit ans.
3. Le conseil de classe, comprenant l’équipe éducative, les représentants élus des parents et des élèves, est l’institution de base de l’orientation.
Chaque élève bénéficiera d’un dossier personnel, constitué depuis l’école maternelle, sous la direction du conseil de classe.
Des entretiens avec les élèves, les parents, les médecins et d’autres personnes qualifiées contribueront à l’orientation.
Des travaux de synthèse établis par des commissions pourront aider à prendre des décisions complexes dans des cas particuliers.
En cas de conflit avec le conseil de classe chargé de l’orientation, les élèves ou leurs parents pourront interjeter appel devant le conseil de gestion de l’établissement ou devant le conseil de gestion départemental, qui tranchera en dernier ressort.
4. Un service de psychologie, d’information et d’orientation de l’Éducation nationale, aidera chaque jeune à effectuer son choix. Ce service sera principalement composé de conseillers-psychologues.
5. Dans le cadre d’une planification démocratique, les relations entre l’Éducation nationale et l’économie permettront d’améliorer les conditions d’entrée des jeunes dans la vie professionnelle.
CARTE SCOLAIRE
1. Des procédures démocratiques associeront, pour la définition d’une nouvelle carte scolaire, les collectivités locales, les conseils de gestion de l’Éducation nationale et l’administration.
Tout en tenant compte des impératifs financiers, l’implantation des établissements et l’organisation des transports scolaires donneront priorité aux exigences de justice et aux nécessités éducatives.
2. La mixité sera généralisée.
3. Afin de tenir compte des nouvelles structures de l’école fondamentale en rapprochant le plus possible de la population, à la ville et à la campagne, des établissements de petite taille, le remodelage de la carte scolaire se réfèrera aux ordres de grandeur suivants :
– École maternelle : 4 classes de 25 élèves,
– Collège du tronc commun : 2 séries parallèles complètes de 9 classes, du cours préparatoire à la 9e classe, soit de 500 à 600 élèves. Des collèges pourront comporter une seule série de 9 classes, d’autres 3 séries parallèles ;
– Lycée : 10 à 15 séries de 3 classes, correspondant à des sections générales et professionnelles.
Il appartient aux collectivités locales et aux organismes de l’Éducation nationale de déterminer les modalités propres à réaliser progressivement la réorganisation nécessaire en partant des établissements existants.
TITRE VIII
ÉDUCATION DES ENFANTS HANDICAPÉS ET INADAPTÉS
ARTICLE 33
DROITS DES HANDICAPÉS ET INADAPTÉS
1. Les enfants et les adultes handicapés ou inadaptés ont droit à la prévention, aux soins, à l’éducation, à l’emploi et à la sécurité. La réalisation de ces droits est un devoir de l’État. Tous les moyens du service public doivent être utilisés et développés à cette fin.
Le recensement scientifique des besoins quantitatifs et qualitatifs dans ce domaine sera organisé.
2. La prévention, le dépistage systématique, les soins seront assurés sous la responsabilité du ministère de la Santé et pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale.
Des mesures sociales particulières viendront en aide aux familles.
3 L’Éducation nationale a le devoir d’assurer l’éducation générale et la formation professionnelle initiale des enfants et adolescents handicapés ou inadaptés. Elle doit conclure les conventions nécessaires avec les autres ministères ou les organismes économiques intéressés.
4. Tous autres droits des handicapés et inadaptés, en particulier des adultes, seront définis par une loi d’orientation appropriée.
ÉDUCATION SPÉCIALISÉE
1. Le service public de l’Education nationale est tenu d’accueillir tous les enfants et adolescents handicapés et inadaptés dans les meilleures conditions éducatives possibles.
2. L’éducation des handicapés et inadaptés doit être réalisée, dans toute la mesure du possible, au sein des établissements communs et des classes communes de l’Éducation nationale. L’inscription d’un enfant ou d’un adolescent dans une classe ou un établissement spécialisé est toujours un dernier recours. Elle ne pourra être décidée que par une commission où seront représentés les enseignants, les parents, le corps médical et les conseillers-psychologues.
3. Des moyens d’éducation spécialisée, intégrés le plus possible aux écoles maternelles, seront mis à la disposition des enfants handicapés ou inadaptés âgés de deux à six ans.
4. Pour les enfants et les adolescents relevant de l’obligation scolaire et atteints d’une inadaptation ou d’un handicap dont il est scientifiquement établi qu’il ne lui permet pas de fréquenter les classes communes, l’Education nationale développera des classes ou des écoles spécialisées, telles que :
– classes ou écoles pour débiles mentaux ;
– classes ou écoles pour sourds ;
– classes ou écoles pour malentendants ;
– classes ou écoles pour enfants et jeunes atteints de troubles graves de la parole ;
– classes ou écoles pour aveugles ;
– classes ou écoles pour mal-voyants ;
– classes ou écoles pour handicapés physiques ;
– classes ou écoles pour enfants et jeunes relevant de traitements prolongés dans des institutions hospitalières.
Les classes ou écoles spécialisées dispenseront une éducation générale aussi proche que possible de celle des collèges et des lycées. Elles assument l’obligation de formation professionnelle à l’égard des jeunes handicapés et inadaptés.
5. Les personnels enseignant dans les classes ou écoles spécialisées appartiendront au corps unique des maîtres de l’école fondamentale.
Ils recevront une formation complémentaire, initiale et continuée, adaptée à leur tâche. Ils coopéreront avec les membres des professions médicales et para-médicales.
6. La décentralisation administrative et l’autonomie pédagogique seront particulièrement développées dans le domaine de l’éducation des handicapés et inadaptés. Les parents d’enfants ou d’adolescents handicapés ou inadaptés seront étroitement associés à la gestion et à la vie des classes et écoles spécialisées.
7. La nationalisation des établissements privés, prévue à l’article 12, s’appliquera au secteur de l’enfance handicapée et inadaptée dans des conditions appropriées, qu’une loi définira après discussion avec tous les intéressés.
8. Les entreprises nationalisées, les administrations publiques et des structures de travail protégé concourront à l’emploi des handicapés et inadaptés ainsi qu’à leur formation professionnelle continuée.
9. Le ministère de l’Éducation nationale organisera en son sein un département de l’enfance handicapée et inadaptée.
TITRE IX
FORMATION DES MAITRES DE L’ECOLE FONDAMENTALE
ARTICLE 35
REVALORISATION DE LA FONCTION ENSEIGNANTE
1. La revalorisation matérielle et morale de la fonction enseignante est justifiée par l’importance croissante du rôle social de l’éducation.
Par fonction enseignante on entend, dans la présente loi d’orientation, la fonction de tous ceux qui contribuent à l’oeuvre de l’Éducation nationale. La revalorisation s’appliquera, sans discrimination, aux personnels provenant d’autres secteurs publics d’enseignement (Agriculture, Santé, Justice, Jeunesse et Sports, etc.), ainsi qu’aux personnels des enseignements privés intégrés au nouveau service public. Ainsi cet article 35 s’applique non seulement aux maîtres de l’école fondamentale, mais à tous les autres personnels qui relèvent de la fonction enseignante à tous les degrés.
Toute question relative à la revalorisation des diverses catégories de personnels sera discutée avec les syndicats.
2. La revalorisation matérielle de la fonction enseignante comportera notamment les avantages résultant pour tous les salariés de la politique de progrès social que doit pratiquer un gouvernement démocratique :
– les mesures particulières dont doivent bénéficier tous les fonctionnaires, telles que réforme démocratique du statut de la fonction publique, relèvement des traitements, reclassement accéléré des catégories A, B, C, D ;
– les mesures spéciales en faveur de la fonction enseignante.
3. Les mesures spéciales pour la fonction enseignante seront notamment les suivantes :
– Une nouvelle grille indiciaire sera établie par la définition de parités nouvelles, de niveau nettement plus élevé, tenant compte des responsabilités (par exemple : parités avec les fonctions d’ingénieur ou de médecin). L’augmentation des indices de début et l’accélération des carrières répondront aux besoins des personnels les plus jeunes.
Toutes les formes d’auxiliariat disparaîtront grâce à des plans de formation et de titularisation des suppléants et auxiliaires, contractuels et vacataires, et à l’arrêt du recrutement de ces types de personnels. Toute suppléance devra être assurée par des remplaçants titulaires d’un niveau de formation au moins égal à celui des autres maîtres titulaires.
Les conditions de travail de tous les personnels seront améliorées et harmonisées. Les enseignants devront recevoir le temps et les moyens de transformer leur enseignement. Progressivement leur service sera allégé, en même temps que les effectifs des classes seront abaissés. Le système des heures supplémentaires imposées sera abrogé. Ces mesures conditionnent une meilleure qualité de l’éducation.
Les étapes d’application de ces mesures seront définies après consultation des syndicats.
4. La revalorisation morale de la fonction enseignante est inséparable de la revalorisation matérielle. Elle dépendra, pour l’essentiel, du rôle de l’Éducation nationale dans le progrès de la société et du haut niveau de qualification des personnels.
OBJECTIFS ET PRINCIPES DU CORPS UNIQUE DE TITULAIRES
1. La démocratisation exige que tous les maîtres reçoivent, pour tous les degrés et pour toutes les disciplines, une formation dépassant largement le niveau de ce qu’ils enseigneront.
La nouvelle formation associera inséparablement les connaissances et la pédagogie, c’est-à-dire :
– une culture générale authentique et un haut niveau scientifique dans une discipline ;
– un haut niveau théorique et pratique dans les sciences et les techniques de l’éducation.
Seul l’enseignement supérieur est habilité à donner cette double formation. L’État doit lui donner les possibilités de s’adapter à cette tâche.
2. La démocratisation exige que tous les maîtres de l’école fondamentale, correspondant à la période de scolarité qui englobe l’école maternelle, le tronc commun, le cycle terminal général et professionnel, constituent un corps unique de titulaires.
Le corps unique :
– répondra de façon cohérente à la création de l’école fondamentale ;
– permettra d’égaliser la qualification de tous les enseignants par leur promotion au niveau exigé par les besoins contemporains ;
– éliminera les cloisonnements, discriminations et hiérarchies arbitraires entre les âges des élèves et entre les disciplines ;
– favorisera une amélioration particulière de l’éducation des années décisives pour toute la scolarité des enfants (école maternelle et premières classes du tronc commun) ;
– ouvrira à tous les enseignants la possibilité de changements en cours de carrière, y compris le passage dans l’enseignement supérieur et la recherche.
CENTRES PÉDAGOGIQUES UNIVERSITAIRES
1. La double formation, scientifique et pédagogique, des maîtres de l’école fondamentale sera donnée dans des Centres Pédagogiques Universitaires. Ce seront les écoles normales de notre temps.
Chaque université créera au moins un Centre Pédagogique Universitaire.
Au terme de l’application de la réforme, tous les maîtres titulaires de l’école fondamentale seront recrutés par la voie des Centres Pédagogiques Universitaires.
2. Le Centre Pédagogique Universitaire regroupera tous les futurs enseignants, de toutes les disciplines, pour tous les niveaux de l’école fondamentale.
Ses élèves auront un statut de normaliens (fonctionnaires-stagiaires).
3. Le Centre Pédagogique Universitaire associera trois missions :
– il sera un point d’appui pour la formation scientifique et la culture générale des normaliens ;
– il donnera une préparation théorique et pratique au métier d’enseignant ;
– il animera des recherches en sciences de l’éducation.
Comme dans les actuelles Écoles Normales supérieures, les élèves du Centre Pédagogique Universitaire suivront la scolarité normale avec les autres étudiants dans les Unités d’enseignement et de recherche de l’Université à laquelle le Centre appartient. Ils devront obtenir la maîtrise, qui sanctionne les études du deuxième cycle universitaire. Ils pourront bénéficier, au Centre, de conditions d’études favorables, de travaux dirigés, de conférences, d’échanges interdisciplinaires.
S’inspirant de l’expérience des Écoles normales d’instituteurs, chaque Centre Pédagogique Universitaire se dotera de classes d’application et de tous autres moyens propres à assurer le contact des normaliens, dès le début de leur scolarité, avec les réalités de leur futur métier. Des éléments de sciences de l’éducation et de pédagogie des diverses disciplines seront enseignés dès avant la Maîtrise. Ainsi, il ne s’agira pas d’un simple schéma : 4 ans d’études universitaires + 1 an de formation professionnelle. Toutefois, après l’obtention de la Maîtrise, la formation professionnelle sera complétée et approfondie par une année qui leur sera plus spécialement consacrée. Cette cinquième année comportera un stage en vraie grandeur. De plus, les normaliens seront encouragés, pendant tout leur séjour dans les Centres Pédagogiques Universitaires, à prendre des responsabilités dans l’animation des activités post et périscolaires au niveau de l’école fondamentale. Les normaliens devront être mis en contact avec les recherches en sciences de l’éducation effectuées dans le Centre Pédagogique Universitaire.
4. La formation des maîtres de l’école fondamentale dans les Centres Pédagogiques Universitaires suppose à la fois une culture pluridisciplinaire et le choix d’une discipline particulière pour chaque normalien.
Aux normaliens qui se destineront aux écoles maternelles il sera recommandé d’obtenir une Maîtrise de sciences de l’éducation.
Pour les normaliens qui choisiront la fonction de maître principal dans les premières classes du tronc commun (cf. article 17), les universités créeront une Maîtrise associant les mathématiques et la linguistique. La constitution de cette discipline nouvelle ne devra pas être artificielle, mais elle reposera à la fois sur les relations de mieux en mieux connues entre mathématiques et linguistique et sur l’unité de formation du jeune enfant.
FORMATION CONTINUÉE
1. Comme tous les autres personnels de l’Éducation nationale, les maîtres de l’école fondamentale ont droit à une formation continuée, englobant l’extension et l’enrichissement incessants de la culture, la mise à jour des connaissances spécialisées et le perfectionnement professionnel.
L’État a le devoir de donner aux maîtres les moyens nécessaires à leur formation continuée, quelle qu’ait été leur formation initiale.
Une loi déterminera le nombre total minimum de mois de stages dans les Centres Pédagogiques Universitaires auquel les maîtres ont droit au cours de leur carrière.
2. La formation continuée ne peut se limiter aux stages effectués dans les Centres Pédagogiques Universitaires.
De nombreux moyens seront mis en permanence à la disposition des maîtres. Par exemple :
– documentation (bibliothèques fixes et itinérantes, fichiers, moyens audio-visuels, etc.)
– diffusion de périodiques, de bulletins, d’ouvrages scientifiques et pédagogiques, édités ou subventionnés par l’Éducation nationale ;
– causeries, conférences, débats directs ou radiodiffusés et télévisés, notamment par l’utilisation de la chaîne de télévision mise à la disposition de l’Éducation nationale par l’O.R.T.F. (cf. article 4, alinéa 8) ;
– organisation de stages, de commissions d’études, d’échanges d’expériences, de colloques, de congrès, ou participation à des manifestations de cette nature organisées par des associations, groupements ou mouvements français ou étrangers ;
– visites ou stages dans des laboratoires ou des entreprises.
Les Centres Pédagogiques Universitaires joueront un rôle important dans l’organisation et le développement de cet effort ; ils pourront être relayés par des centres départementaux de documentation et d’animation pédagogiques.
MESURES TRANSITOIRES
Des étapes intermédiaires seront nécessaires pour transformer et élever la formation des maîtres et pour créer le corps unique. Chacune d’entre elles sera définie après consultation des syndicats. Tout le potentiel existant – écoles normales d’instituteurs, etc. – sera utilisé, autant que possible, dans le cadre nouveau. Les avantages acquis seront respectés.
Outre la résorption définitive de l’auxiliariat prévue à l’article 35, alinéa 3, la première étape devra comporter parmi les mesures prioritaires :
– la mise en place des Centres Pédagogiques Universitaires ;
– un plan quinquennal de premier recyclage pour tous les maîtres en exercice (cf. article 19) ;
– un plan général d’intégration promotionnelle des différents personnels en exercice.
DIRECTION ET INSPECTION PÉDAGOGIQUES
1. L’autonomie pédagogique des établissements, la liberté pédagogique des enseignants supposent que la direction et l’inspection changent de caractère.
2. Le directeur ou la directrice d’un collège ou d’un lycée devront pouvoir considérer leurs responsabilités pédagogiques comme primordiales. L’essentiel de leur travail consistera à aider les autres enseignants, à veiller à leur formation continuée. Ils s’engageront personnellement, en appliquant les principes démocratiques, dans la résolution des problèmes les plus complexes posés par la vie scolaire. Ils assureront les relations de l’école avec l’extérieur.
3. Il est plus utile d’améliorer l’éducation dispensée aux élèves que de classer les maîtres entre eux. L’inspecteur sera un animateur, un conseiller permanent, un guide bien plutôt qu’un juge. Il stimulera, discutera, cherchera, en se considérant comme un pair parmi ses pairs. Il favorisera la circulation des informations et des expériences, de telle sorte que la connaissance des progrès réalisés par la pédagogie se répande et que chaque enseignant puisse en trouver l’application et l’enrichissement.
1. La rénovation pédagogique sera stimulée grâce au développement de la recherche en sciences de l’éducation.
La définition, la formulation, l’étude des problèmes liés à cette recherche appartiennent aux scientifiques, expérimentateurs et praticiens.
Un mouvement incessant de recherche animera toute l’Éducation nationale. Il associera techniciens, spécialistes et praticiens de toutes disciplines dans des équipes interdisciplinaires, qui pourront être rattachées aux Centres Pédagogiques Universitaires, aux unités d’enseignement et de recherche des universités, aux centres départementaux d’information et d’animation pédagogiques.
Les initiatives, les expériences tentées par des maîtres, des équipes, des établissements seront étudiées et, s’il y a lieu, diffusées et soutenues.
2. Un Centre National de la Recherche en Sciences de l’Éducation, doté des moyens nécessaires, stimulera et coordonnera l’ensemble de cette activité scientifique.
3. Les mouvements pédagogiques développeront leur activité indépendante. Ils pourront collaborer aux programmes de recherche et d’expérimentation.
4. Une part importante des recherches en sciences de l’éducation sera consacrée à l’étude des nouvelles techniques, à la prospective de leur développement.
L’usage des techniques dont l’expérience aura confirmé la valeur sera généralisé. Une préparation à l’utilisation des techniques nouvelles fera partie intégrante de la formation des maîtres.
5. Le développement de la recherche en sciences de l’éducation sera stimulé par les échanges internationaux d’informations et d’expériences.
Une nouvelle loi d’orientation définira les missions, l’organisation, la gestion et le fonctionnement de l’enseignement supérieur.
Les articles 43 à 47 de la présente loi sur l’école fondamentale se limitent à quelques principes.
MISSIONS DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
1. L’enseignement supérieur appartient dans son ensemble au service public unique et laïque de l’Éducation nationale.
Il accomplit toutes ses missions dans un système unifié.
2. L’enseignement supérieur doit se consacrer à l’avancement de la connaissance, base théorique du progrès dans toutes les branches de l’économie nationale et de la vie sociale. Une part très importante revient à la recherche fondamentale.
L’enseignement supérieur doit unir de façon indivisible la recherche et l’enseignement à tous les niveaux et pour tous les personnels.
3. L’enseignement supérieur doit assurer une formation culturelle, scientifique et professionnelle. Il regroupera en son sein toutes les formations post-baccalauréat.
Tout établissement d’enseignement supérieur sera un lieu d’éducation permanente.
4. L enseignement supérieur doit contribuer :
– à la gestion, à l’administration, à la planification de l’enseignement supérieur lui-même ;
– à la planification de l’Éducation nationale ;
– à la définition de la politique scientifique et technologique ;
– à la définition de la politique culturelle, de la politique de santé, etc. ;
– au développement des échanges internationaux.
5. L’accès à l’enseignement supérieur est ouvert à tous les Français et aux ressortissants étrangers dans des conditions qui correspondent à l’existence de plusieurs voies différentes : possession du baccalauréat ou d’un diplôme équivalent ; fréquentation de classes ou cours d’accueil et de rattrapage ; formation permanente, etc.
La réalisation du droit d’accès à l’enseignement supérieur sera garantie par des mesures sociales ayant pour objet non seulement d’éviter toute ségrégation, mais aussi de corriger les inégalités (cf. Titre II).
Une véritable orientation des étudiants doit mettre fin à la sélection par l’échec et se traduire notamment par la rénovation du premier cycle et par la création de formations diversifiées correspondant aux besoins réels de la société.
6. L’enseignement supérieur doit sanctionner les formations par des diplômes nationaux.
7. L’enseignement supérieur doit étendre son action de recherche et de formation à l’ensemble des activités humaines. Des mesures particulières seront prises pour le développement en son sein des disciplines artistiques et des disciplines qui se rattachent aux activités physiques et sportives.
8. La création des Centres Pédagogiques Universitaires définis au Titre IX incombe à l’enseignement supérieur.
ORGANISATION DES UNIVERSITÉS
1. L’université est l’institution fondamentale de l’enseignement supérieur.
D’autres institutions doivent occuper une place originale dans le système unifié de l’enseignement supérieur : par exemple, les grands établissements.
2. Chaque université est composée d’unités d’enseignement et de recherche. A titre exceptionnel, certaines unités peuvent se limiter à la recherche, d’autres à l’enseignement. Chaque université doit former un ensemble unitaire dans ses contenus et dans ses structures, selon trois principes indissociables :
– unité pluridisciplinaire de la connaissance ;
– unité de l’enseignement et de la recherche à tous les niveaux et dans toutes les voies ;
– unité organique des trois cycles d’enseignement.
3. La formation scientifique et la recherche exigent, même au plus haut niveau des spécialisations, des rencontres interdisciplinaires en constante évolution. Toute université doit donc se développer de façon équilibrée. Elle formera un ensemble complexe défini notamment
– par le nombre et la nature des unités qu’elle regroupe ;
– par son rôle national et régional ;
– par ses responsabilités en matière d’administration et de gestion, de programmes, de constitution des équipes de recherche, de délivrance de titres, etc.
La pluridisciplinarité sera, au début des études, une structure d’initiation et d’orientation, précédant et préparant la spécialisation.
Dans les cycles ultérieurs elle s’inscrira dans la formation culturelle de tous les étudiants et complètera la spécialisation.
4. Chaque université doit posséder un ensemble significatif de recherche. Toutes les disciplines de base existeront dans chaque université, des dominantes pouvant donner à certaines d’entre elles un caractère spécifique.
5. Dans toutes les universités les études se dérouleront en trois cycles :
– premier cycle : préparation, orientation, rattrapage (en principe deux ans) ;
– deuxième cycle : maîtrise (deux ans) ;
– troisième cycle : la spécialisation professionnelle ou l’approfondissement scientifique.
Toutes les universités doivent comprendre les trois cycles.
6. La carte universitaire nationale et régionale sera établie dans les conditions démocratiques indiquées à l’article 7 de la présente loi. Elle prendra pour base la nécessité de créer une université de plein exercice par secteur de 800 000 à 1 million d’habitants.
FORMATION PROFESSIONNELLE SUPÉRIEURE
1. Les universités sont tenues de créer des ensembles cohérents de formation en vue de préparer des étudiants à toute profession nécessitant un niveau post-baccalauréat, qu’elle soit orientée vers des activités d’enseignement et de recherche ou vers des activités à caractère industriel, agricole, commercial, administratif ou social.
Toutes les formations professionnelles de niveau post-baccalauréat doivent être des enseignements de culture générale et de spécialisation. Elles seront conçues de façon à permettre l’accès des étudiants à des niveaux supérieurs ou à des formations différentes.
2. Les universités doivent créer, en particulier, des formations technologiques de second et troisième cycles sanctionnées par des diplômes nationaux, pouvant notamment conférer le titre d’ingénieur, et soutenues par le développement de la recherche appliquée universitaire.
Les cursus correspondant à ces formations ne devront pas être ségrégatifs ils seront intégrés aux cursus universitaires.
La formation des techniciens supérieurs dépendra exclusivement de l’enseignement supérieur. Celui-ci est tenu d’assurer le développement des Instituts Universitaires de Technologie en les intégrant dans l’ensemble des formations universitaires technologiques des trois cycles.
Les Instituts Universitaires de Technologie seront des établissements d’Enseignement Supérieur à part entière. Tout décret dérogatoire restrictif les concernant sera abrogé. La recherche sera introduite et développée. Des passages existeront pour les étudiants vers les deuxième et troisième cycles.
4. Le regroupement de l’ensemble des formations professionnelles de niveau post-baccalauréat dans les universités s’effectuera par étapes aussi rapprochées que possible, en tenant compte de la spécificité de chacune de ces formations et en utilisant tout le potentiel existant.
Les grandes écoles et leurs classes préparatoires seront progressivement intégrées selon ce processus. Dans la période qui s’étendra jusqu’à leur intégration elles devront être démocratisées et auront à se rapprocher des universités.
Dans tous les cas, les pouvoirs publics veilleront à ce qu’aucune transformation n’ait lieu dans des conditions qui pourraient comporter le risque d’une baisse de qualité ou d’une diminution du potentiel national.
5. Le développement contemporain des forces productives nécessite que tout ingénieur, cadre ou technicien consacre à la formation permanente environ un dixième, convenablement réparti, de son temps de travail. Cette formation, dispensée par les établissements d’enseignement supérieur, doit répondre aux besoins d’approfondissement, d’élargissement et d’actualisation de la culture scientifique, technologique et économique de ces personnels.
6. Les employeurs publics et privés sont tenus de reconnaître la validité des titres et diplômes délivrés par les universités, les Instituts Universitaires de Technologie et les autres établissements d’enseignement supérieur.
Cette reconnaissance sera contenue dans les conventions collectives.
GESTION DÉMOCRATIQUE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
1. La loi d’orientation prévue à l’article 42 déterminera les mesures propres à assurer une gestion démocratique des universités.
Les principales instances de la gestion démocratique seront :
– les conseils d’U.E.R. ;
– les conseils d’Université ;
– le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ;
– le Comité Consultatif pour le jugement scientifique ;
– le Comité National de la Recherche scientifique.
Les attributions de toutes ces instances devront être renforcées et étendues. Toutes les catégories d’enseignants-chercheurs devront y être représentées équitablement, c’est-à-dire en tenant compte des tâches et responsabilités réelles.
2. A tous les niveaux, la gestion démocratique associera :
– les représentants élus des enseignants-chercheurs et des autres catégories du personnel ;
– les représentants élus des étudiants ;
– les représentants désignés des pouvoirs publics et de l’administration ;
– les représentants élus ou désignés des branches professionnelles (entreprises publiques ou nationalisées, syndicats ouvriers) et des organismes régionaux.
La composition, les attributions, et le fonctionnement des conseils de gestion seront déterminés par la loi d’orientation prévue à l’article 42.
3. Les fonctions d’autorité comme celles des recteurs seront supprimées.
4. Les dispositions prévues aux articles 4 (alinéa 4) 9 (alinéas 2 et 3) garantissant les libertés démocratiques et syndicales des personnels s’appliqueront aux personnels de l’enseignement supérieur.
5. L’autonomie des universités s’appliquera en particulier à leur gestion financière.
L’autonomie des universités tiendra compte de l’insertion de l’enseignement supérieur dans le complexe de toutes les activités sociales.
Pour les programmes, il conviendra de tenir compte de règlements généraux définis pour toutes les universités.
Pour le choix du corps enseignant, il conviendra de tenir compte de critères définis sur le plan national et de la nécessité pour les enseignants-chercheurs de pouvoir circuler d’une université à une autre.
En plus des diplômes nationaux les universités pourront délivrer des diplômes d’université.
6. Le respect rigoureux des franchises universitaires doit garantir l’indépendance intellectuelle des universitaires et des étudiants vis-à-vis de l’État et de tout groupe de pression qui peut exister à l’extérieur de l’Éducation nationale. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.
7. L’une des conditions décisives du développement de l’enseignement supérieur réside dans la possibilité effective qui sera donnée aux étudiants d’intervenir dans la direction et la gestion à tous les niveaux. Les étudiants verront leurs droits renforcés et étendus dans tous les domaines. Ils auront la possibilité d’être associés à l’enseignement de telle sorte qu’ils concourent à en définir ou puissent en discuter le but, le sens et la méthode. Les libertés politiques et syndicales leur seront garanties.
ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
1. Les membres de l’enseignement supérieur doivent être des enseignants-chercheurs titulaires. Ils accomplissent des tâches d’enseignement et consacrent une partie de leur activité à la recherche. La recherche n’est pas, pour eux, une activité secondaire ou marginale : elle fait partie intégrante de leur fonction.
2. La formation initiale des enseignants-chercheurs comportera
– un aspect de recherche au niveau du troisième cycle ;
– un aspect pédagogique et professionnel.
Cette formation, d’une durée de trois ans, sera acquise dans le cadre d’instituts de préparation à la Recherche et à l’Enseignement Supérieur. Ces instituts auront une fonction de formation et d’orientation. Les étudiants qui en dépendront seront des fonctionnaires-stagiaires.
3. L’ensemble des enseignants-chercheurs se répartira dans une structure à deux niveaux :
– le corps A des professeurs assistants ;
– le corps B des professeurs.
Le passage d’un corps à l’autre s’effectuera à partir de l’inscription sur la liste d’aptitude aux fonctions de professeur. Les activités pédagogiques et de recherche seront prises comme critères d’avancement. Les fonctions de responsabilités seront strictement soumises à la règle de l’éligibilité, les corps A et B étant, en règle générale, associés dans les élections. La collégialité sera sans cesse développée.
A l’époque contemporaine, tout individu a besoin de s’éduquer tout au long de sa vie. L’éducation permanente est une nécessité, tant pour permettre le rattrapage et la correction des injustices que pour assurer le développement de l’économie et de la société.
L’éducation permanente ne saurait avoir pour but de remplacer l’éducation initiale ni d’en pallier les carences éventuelles.
Au contraire, elle nécessite une meilleure éducation initiale.
L’éducation permanente ne saurait être réduite à la formation professionnelle permanente. Au contraire, elle doit s’étendre à tout le champ de la culture.
Bien que l’Éducation nationale doive jouer un rôle essentiel dans l’éducation permanente, en particulier sous l’aspect de la formation professionnelle, l’éducation permanente ne peut relever de ce seul service public ni même seulement de l’action des services publics dans leur ensemble. Elle se rattachera à l’ensemble de la pratique sociale, culturelle, sportive…
Les efforts d’éducation permanente dont les syndicats, les associations et mouvements, les collectivités locales, etc… prennent l’initiative et assument la responsabilité doivent recevoir les moyens nécessaires (financement, personnels) dans le strict respect de leur originalité, de leur indépendance ou de leur autonomie.
CONTRIBUTION DE L’ÉDUCATION NATIONALE LA FORMATION PROFESSIONNELLE PERMANENTE
1. Tout travailleur, toute personne non active désireuse d’acquérir une qualification professionnelle ont droit à une formation permanente. En cette matière le libre choix des travailleurs est un principe.
Les divers systèmes possibles d’organisation de la formation permanente dans l’emploi du temps des travailleurs seront expérimentés, combinés entre eux, adaptés à la diversité des conditions et des besoins. Les cours seront, autant que possible, organisés pendant le temps de travail.
La rémunération du temps consacré à la formation permanente fera l’objet de dispositions législatives. La loi garantira qu’une interruption de l’activité professionnelle pour études n’entraînera pas la perte de l’emploi.
La formation permanente sera sanctionnée par des titres, diplômes et attestations identiques ou équivalents à ceux que l’Éducation nationale délivrera aux élèves et aux étudiants au terme de leur formation initiale. Les employeurs publics et privés seront tenus d’en reconnaître la validité et d’embaucher leurs titulaires dans des emplois et sous des conditions correspondant au niveau de qualification acquis.
L’ensemble de ces dispositions devra figurer dans les conventions collectives. Des sanctions rigoureuses frapperont les entreprises qui ne les appliqueraient pas intégralement.
2. En apportant son concours à cette formation permanente, soit dans le cadre de l’Éducation nationale, soit dans le cadre de la formation professionnelle des adultes, le service public doit assurer aux travailleurs une véritable formation, dont le contenu corresponde à leurs besoins et à ceux de la nation. Il doit éviter, en particulier, de réduire la formation à une simple adaptation aux postes de travail ou à une mise en condition idéologique.
3. Tout établissement de l’Ëducation nationale dispensant des formations technologiques et professionnelles doit organiser en son sein des départements de formation permanente. Dans le cadre de ses besoins d’ensemble, l’Éducation nationale doit disposer des moyens en postes, crédits de fonctionnement et d’équipement nécessaires au développement de la formation permanente. Les modalités de cette formation seront fixées, notamment en ce qui concerne les relations avec les milieux professionnels, par conventions entre le service public et l’Éducation nationale, les syndicats représentatifs et les organismes démocratiques. Ces modalités seront adaptées aux conditions particulières d’un enseignement destiné aux adultes.
4. Les enseignants des sections de formation permanente seront
– des personnels de l’Éducation nationale qui pourront bénéficier de stages périodiques en milieu professionnel ;
– des praticiens des matières à enseigner (ingénieurs, cadres, techniciens, ouvriers professionnels, etc.) qui pourront participer à des fonctions d’enseignement sans rupture du contrat de travail et sous le contrôle de l’Éducation nationale.
Les membres de l’enseignement public pourront aussi, dans des conditions prévues par la loi, contribuer à des actions de formation permanente en dehors de l’Éducation nationale.
5. Le service public de la formation professionnelle des adultes constitue un système adapté à des missions de perfectionnement des travailleurs, de formation initiale pour des adultes n’ayant reçu aucune formation professionnelle, de reconversion.
6. Les comités d’entreprise ont vocation pour s’assurer que la formation permanente dispensée aux membres du personnel répond aux buts définis par la présente loi.
7. Une loi de programme fixera la première étape des dispositions tendant à la réalisation de ces objectifs à partir des réalités économiques, sociales, politiques et scolaires existant lors de la promulgation de la présente loi d’orientation.