Dresser un historique des réformes en partant de la loi René Haby du 11 juillet 1975 pour en arriver aux lois actuelles procède d’une ambition tout à fait démesurée relativement au temps d’intervention qui nous est imparti. C’est pourquoi, afin d’éviter de produire une présentation trop réductrice de ces réformes, nous avons choisi de centrer notre propos sur la question du collège, fondamentale en ce qu’elle cristallise à elle seule depuis plusieurs décennies déjà – et en particulier depuis la loi Haby – un certain nombre d’enjeux à forte charge symbolique, d’enjeux révélateurs des choix d’une société tout entière. Limiter notre observation aux effets des réformes sur le collège aura également un but : montrer que derrière l’apparence de leur multiplicité et des discours qui les justifient, ne se profile jamais qu’une seule cohérence, de plus en plus perceptible, celle d’une réduction des coûts de fonctionnement de l’école publique.
Réforme Haby
La réforme du collège instituée par la loi du 11 juillet 1975 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, par le ministre René Haby porte le qualificatif de réforme du “ Collège unique ”. Afin de mieux percevoir les causes de cette réforme, il nous faut revenir quelque peu en arrière et évoquer le système préexistant. La loi, qui avait porté la limite de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans en 1959, arrivait à effet en 1965 pour les élèves ayant atteint l’âge de 14 ans. Les élèves étaient alors scolarisés dans des collèges à trois filières, correspondant respectivement au premier cycle des lycées, aux collèges d’enseignement général, et aux classes pratiques, ex – “ fin d’études ” Si les programmes, les horaires et les méthodes employées dans les filières I et II étaient assez semblables, la filière III différait nettement des deux précédentes par ses programmes et ses horaires ainsi que par la formation des professeurs qui y assuraient leur service. Ainsi, alors que les professeurs des filières I et II étaient des certifiés ou agrégés, ou des professeurs d’enseignement général de collège, les enseignants de la filière III étaient des instituteurs spécialisés, souvent les anciens maîtres des classes de fin d’études.
Les classes des filières I et II bénéficiaient, au-delà du seuil de 24 élèves, de très nombreux dédoublements (je vous renvoie par exemple à l’arrêté de 1972), ce qui, d’une part, permettait aux professeurs de mieux approfondir leur démarche pédagogique, et d’autre part leur donnait les moyens véritables de faire progresser individuellement leurs élèves en leur accordant toute leur attention. A titre de comparaison un certifié actuel de lettres modernes a en collège 4 classes à sa charge, quand le professeur de l’époque, avec neuf heures hebdomadaires en sixième composées de 3 en classe entière et 3 dédoublées, n’avait que deux classes.
De plus, en dépit du caractère apparemment rigide du système, la situation était très variée d’un collège à l’autre, et si la filière III constituait bien une voie à part, destinée pour l’essentiel à préparer les élèves à une professionnalisation précoce, les filières I et II étaient loin d’être séparées dans les faits : des arrangements locaux permettaient parfois des transferts d’élèves d’une filière à l’autre, et les nombreux dédoublement assuraient une aide efficace en demi-classe pour les travaux dirigés dans différentes disciplines.
Mais cette organisation en filières coûtait cher, au moment où affluaient dans l’enseignement les classes d’âge nombreuses du baby boom, encore augmentées par l’allongement de la scolarité. Le ministère a donc cherché à contenir ces coûts en réduisant l’offre éducative et le nombre d’heures de cours dispensées aux élèves. Prenant ainsi délibérément le parti de former des salariés aux compétences limitées, il n’eut pourtant de cesse de présenter sa réforme du “ Collège unique ” sous un aspect flatteur, sous la très forte pression de l’opposition des professeurs et des partis de la gauche d’alors. Il se produisit à l’époque un phénomène auquel on ne peut que prêter attention, car il devait faire école : l’utilisation dévoyée du vocabulaire et des idées progressistes de ceux qui appelaient à juste titre à la “ démocratisation ” du système, et ce à des fins purement économiques… En réalité, en quoi consista surtout cette réforme ? Réalisant en apparence l’objectif de la “ démocratisation ”, le “ Collège unique ” rompait avec le système des filières, et tous les élèves de CM2 intégraient indistinctement un même type de sixième [1], Mais ce faisant, les heures dédoublées de français, mathématiques, dessin, musique, biologie, travaux manuels disparaissaient, pas du tout compensées par de rares heures de soutien ou d’approfondissement. Moins coûteuse, cette réforme proposait surtout une structure uniforme qui allait aussi faire école : ne faut-il pas y voir en effet la caution et l’origine des réformes structurelles des classes de lycée, de l’indifférenciation des classes de seconde, et de la substitution de l’unique 1ère S aux 1ères C, D et E ?
Une autre forte caractéristique de cette réforme était la modification des programmes, leur appauvrissement. Pour les mathématiques notamment, a eu lieu la rupture assez brutale du programme des mathématiques modernes qui ont alors été abandonnées, sans retour au programme classique précédent. En français, parmi les nouveaux “ objectifs ” – terme désormais privilégié dans la définition des programmes -, il fallut apprendre aux élèves à rédiger un CV ; non que ce fût tout à fait inutile, mais cela tranchait d’avec l’étude de la grammaire et des textes, et nous paraissait du niveau des classes de transition … R. Haby lui-même, dans un entretien donné au Monde en 2001 rappelle que cette réforme consistait surtout à “ introduire des savoir-faire qui bousculaient la tradition de l’enseignement secondaire ” ; tout en reconnaissant qu’à l’époque où il accordait cet entretien au Monde, il n’y aurait de toute façon qu’un tiers des élèves qui réussiraient l’examen d’entrée en sixième (et les deux autres tiers, comment se sont-ils débrouillés au collège ? on les envoyait donc au collège en sachant pertinemment qu’ils n’y réussiraient pas ? et que dire maintenant, si on se posait la même question ?)
Parmi les très vives réactions suscitées alors par cette réforme, citons les deux années de grèves, pétitions, et manifestations impulsées par le SNES et la FCPE, tout le temps que dura la préparation du projet de loi. La presse syndicale d’alors est riche de nombreux et virulents articles (voir en particulier les US de 1974-75). Le PCF exprima également une vive opposition à la réforme Haby, essentiellement à cause de l’appauvrissement des programmes. Dans L’Ecole et la Nation de février 1975, nous pouvons lire les phrases suivantes :
“ L’Ecole à contenu appauvri que nous proposent MM. Giscard et Haby, par l’abaissement qualitatif de l’enseignement mis en place, crée les conditions d’un élargissement considérable de l’école privée, voire celles de la mise en place d’un double système d’enseignement comme dans certains pays anglo-saxons. Ira-t-on vers une école des riches et une école des pauvres ? ” …
“ En réalité derrière cette proposition du projet Haby se camoufle sous un langage démocratique la vieille idée de Giscard considérant la dépense d’éducation comme une dépense de consommation analogue aux autres ”. A tant d’années de distance, ne sommes-nous pas frappés du caractère prémonitoire de ces analyses ? En réalité, cette réforme se plaçait déjà dans une continuité politique qui trouvait ses sources ailleurs qu’en France. Dès avant 1975, l’OCDE formulait, à l’occasion de conférences intergouvernementales, des projets précis en matière d’éducation, justifiant une réorganisation d’ensemble de l’enseignement, comme on put le voir avec la réforme des maths modernes, en mathématiques, par exemple. Voici, cités par François Blanchard dans une US de février 1975 :
“ L’évolution des structures préconisées par l’OCDE est la suivante :
“ Il ne s’agit plus “ d’étendre ” l’enseignement à de nouveaux groupes d’enfants mais de modifier toutes les relations entre l’individu, l’économie et le système éducatif (par exemple avec l’éducation récurrente). ” (R1 p. 46).
– “ …– application au niveau primaire et dans le premier cycle du secondaire, d’une différenciation pédagogique au cours d’une période prolongée d’éducation commune, afin de concrétiser les réformes de structure récemment adoptées, et notamment le système de l’école “ globale ” (comprehensive school)… Il conviendrait de voir de près quels seraient, dans un système de ce genre, les possibilités, le coût et les avantages d’une application du concept d’éducation “récurrente”, qui marquerait une innovation majeure dans la stratégie de l’enseignement. ” (R1 p. 47) ”
Ces études de l’OCDE ont été écrites en 1970 et 1975. Il a suffi de quelques progrès en informatique pour aboutir à la “ carte de compétences ” qui concrétise ces projets. La seule différence c’est que la réalisation de ce nouvel objectif politique de l’OCDE se produit dans une Europe majoritairement gouvernée par la social-démocratie [2].
Il faut éclairer le tableau en ajoutant qu’en 1973-75 a été créée aussi la Commission Trilatérale (voir la bibliographie), France-Etats-Unis-Japon, dont un des soucis a été dès le début la maîtrise des démocraties, comme l’indique le titre de son ouvrage fondateur : La crise de la démocratie, rapport sur la gouvernabilité des démocraties (voir bibliographie).
Il est presque certain que pour assurer cette “ gouvernabilité ”, il faut dans l’école trouver un modèle d’éducation pour former des esprits dociles.
Période de Chevènement, 1984-86
. Après les nouveautés du ministère Savary, les Zep, l’autonomie des universités, et une réforme administrative aux grandes conséquences à long terme, la loi de décentralisation de Defferre en 1982, qui a donné la propriété et l’entretien des établissements secondaires aux collectivités locales, le ministère Chevènement a frappé les esprits des professeurs par quelques décisions.
L’horaire de français du collège est passé progressivement de 5 heures à 4 heures ½, sans dédoublements (voir arrêté du 14 novembre 1985).
Le rétablissement des épreuves écrites du brevet a donné l’espoir d’une remise en ordre, car le seul contrôle continu conduit inévitablement à des dérives, des variations, des pressions plus ou moins douces ou morales sur les enseignants, donc à la dévalorisation de l’examen. Hélas, l’espoir dura peu, car devant les résultats alarmants, les pressions s’exercèrent sur les jurys d’examen, par des manipulations diverses, de la part de la hiérarchie. Notre expérience ordinaire permet d’affirmer que la modalité actuelle de l’examen du brevet ne garantit nullement chez les lauréats des connaissances et un niveau correct. Pour le baccalauréat, c’est peut-être moins mal, mais il est certain aussi que des pressions sont exercées sur la confection des sujets, et sur les jurys d’examen, pour améliorer les statistiques. Des détails seront fournis dans un ouvrage qui devrait sortir, coordonné par notre ami Bernard Sergent.
Mais de toutes les mesures prises par Chevènement, celle qui façonna durablement et au-delà de toute attente le paysage scolaire fut le slogan des “ 80% d’une classe d’âge au niveau du bac ”, accompagnant la création du baccalauréat professionnel. Cela a donné lieu à de multiples confusions.
Ce diplôme était conçu comme presque uniquement professionnel – signe remarquable : la loi et le décret qui le créent sont dans le Journal Officiel à la rubrique Formation professionnelle et code du travail, et non à celle de l’enseignement – et il est légitime de chercher à élever le niveau de formation professionnelle des ouvriers, pour améliorer l’activité économique, pour promouvoir les carrières professionnelles des travailleurs. Mais l’appeler baccalauréat induisait forcément dans l’esprit du public l’image traditionnelle du bac classique, qui est toujours en droit le premier diplôme de l’enseignement supérieur.
“ 80% au niveau du bac ” a été immédiatement raccourci dans l’esprit du public en “ 80% au bac ”, classique bien entendu par manque de référence à autre chose, alors qu’il est probable que dans l’esprit du ministre initiateur de cette loi, une grande partie d’élèves arrivant en Terminale (et non forcément titulaire du bac) le seraient en passant par la filière professionnelle. Cela n’a pas du tout été compris de cette façon-là, par l’administration de l’Education Nationale surtout : par démagogie, les instructions transmises par les recteurs et les chefs d’établissement ont cherché à plaire (aux fédérations de parents d’élèves ?) en forçant le passage dans les séries classiques contre l’avis des professeurs en conseils de classes –c’était une époque où ils avaient encore un petit mot à dire.
On pourra m’objecter que je fais un procès d’intention. Supposons que l’intention ministérielle n’ait pas été cette promotion démagogique des séries classiques pour flatter les parents, mais au contraire de favoriser vraiment l’orientation vers les baccalauréats professionnels ; on peut se demander alors pourquoi les échelons intermédiaires de l’administration de l’Education Nationale, aidés des conseillers d’orientation, auraient désobéi aux instructions ministérielles. Mais est-il besoin de préciser que l’enseignement technique et professionnel, notamment industriel, coûte beaucoup plus cher que l’enseignement classique, en machines et taux d’encadrement en professeurs, ne serait-ce que pour une raison de sécurité ? Ce n’est pas céder à un marxisme de bas étage que de rappeler ces contingences matérielles et financières, parce qu’elles pointent vite le nez dans certaines directives concernant l’orientation …
Comment ces incitations ont-elles été perçues par les élèves ? “ On veut qu’il y ait 80% au bac, je n’ai pas besoin de me fatiguer à comprendre, de toute façon je passe. ”
Ce slogan des 80% sans se préoccuper des conditions précises de sa faisabilité, des conditions concrètes et humaines de sa mise en œuvre, a été sans doute imprudent … Nous continuons à le payer, car la pression de l’administration s’est aggravée, et les dégâts intellectuels et moraux en chaîne sont importants.
Si le candidat qui a été ce ministre en a conscience et veut précisément et concrètement les corriger, nous prendrons acte.
La loi du 10 juillet 1989, dite loi Jospin
. Elle a été préparée en particulier par un rapport de Jean Andrieu en 1987 au Conseil Economique et Social, sur l’évolution des rapports entre l’école et le monde économique.
Passée sans commentaire, sans réaction syndicale apparente (on a cependant appris récemment par le livre de Monique Vuaillat que la direction du Snes avait participé et discuté « à la virgule près » les termes de cette loi), elle était assez méconnue jusqu’à une date récente ; elle introduit des modifications importantes :
- organisation de l’école primaire en cycles pluriannuels (pendant lesquels il est impossible de faire redoubler les élèves), décision qui trouve son inspiration dans le rapport Andrieu, où on lit par exemple page 6 de l’édition originale du Journal Officiel :
« Chaque année, il est possible d’estimer à plus de 25 milliards de francs le seul coût des redoublements pour le seul ensemble de ceux et celles qui du CP parviennent aux classes terminales des seconds cycles. … Chaque année, les prolongations de scolarité constatées dans les formations supérieures sont à l’origine de surcoûts qui peuvent être estimés pour les seuls premiers cycles des universités à près de 2 milliards de francs. « - disparition de l’orientation possible en lycée professionnel en fin de 5e, et fermeture de la plupart des CAP (cohérent avec le souhait d’élévation de la formation professionnelle représenté par les baccalauréats professionnels) ; il va de soi que l’objectif des 80% au bac est poursuivi.
- création des IUFM dans le but d’unifier la formation des enseignants du primaire et du secondaire ; mon collègue Pedro Cordoba en parlera mieux que moi, mais on peut signaler que la préfiguration des IUFM se trouvait déjà dans les prévisions de l’OCDE en 1975, la lecture de l’article de François Blanchard sur le site de l’Aped le montrera (voir la bibliographie).
Mais en tout cas ni cette loi ni les arrêtés qui en précisent l’application ne sont revenus sur les mesures néfastes de disparition des dédoublements, ceux qui existaient avant Haby, non plus que sur les programmes qui en 1975 étaient fort critiqués par les forces de gauche ; au contraire.
Les considérations froidement financières du rapport Andrieu préconisant de supprimer les redoublements ont reçu un habillage idéologique savant grâce à l’aide de certains sociologues : la corrélation entre les redoublements et les difficultés scolaires a été transformée en causalité puis interprétée à l’envers (c’est-à-dire qu’ils déclarent que ce sont les redoublements qui sont cause du malaise, cela se retrouve dans la plupart des circulaires rectorales), tous les bons sentiments ont été mis en œuvre pour culpabiliser les enseignants. Une preuve s’il en fallait que ce raisonnement est faux, c’est que les élèves actuels, qui n’ont pas redoublé puisque c’est pratiquement interdit, ne brillent pas par l’excellence de leurs résultats scolaires, au contraire.
Nous ne prétendons pas que le redoublement soit une panacée, nous affirmons que l’énorme pression réglementaire et idéologique pour l’interdire a une cause financière : faire des économies au détriment des élèves, et un but politique : les endormir, mentir à leurs familles en faisant croire que tout va bien, puisque dans la tradition populaire on passe si on a un niveau convenable.
C’est la même intention de mentir qui fait ôter des programmes tout ce qui fait difficulté, ce qui récemment est carrément avoué par exemple par madame Weinland, inspectrice générale de lettres ; au risque de déstructurer tout, de créer des lacunes à la base qui sont très difficilement rattrapables plus tard.
Car nous observons aussi un déferlement de changements de programmes, qui font successivement la preuve de leur nocivité ; la rapidité de leur changement étonne : sont-ils vraiment, de l’aveu même de leurs commanditaires, tellement mauvais ? Cela porte à croire que le ministère fait exprès de recruter pour leur confection les plus mauvais artisans possible …
Ministère Bayrou
Le ministère suivant, celui de monsieur Bayrou, d’étiquette opposée en principe, a poursuivi et aggravé les textes d’application de la loi Jospin, il applique la même politique. Le fait très marquant de son ministère, après la tentative de modification de la loi Falloux, repoussée par la grande manifestation laïque du 16 janvier 1994, a été la négociation qui a abouti au Nouveau Contrat pour l’école.
L’idée de départ, s’agissant de la suite d’une manifestation laïque, était la suivante : l’école privée réussirait mieux que l’école publique parce que les élèves sont plus suivis, plus aidés. Tout d’abord, la vérité de cette assertion n’a apparemment été mise en doute par personne. Pour compenser ce relatif défaut, il faut donc dans l’école publique faire de l’aide au travail personnel (tiens donc, à quoi servaient les 10 heures dédoublées par semaine de l’horaire Guichard jusqu’en 1975 ?). Mais, objection des dirigeants de la FCPE, cela ne peut pas être des heures en plus parce que les enfants sont fatigués, donc pour prodiguer cette aide, ce ne peut être que par diminution de l’horaire de cours. Les militants de base du syndicat ont vivement protesté, ainsi que des parents de base de la FCPE, les négociations ont été longues et pénibles, pour constater que les directions de ces organisations n’ont pas rappelé, ou faiblement, l’existence antérieure des dédoublements réguliers à l’intérieur de l’horaire disciplinaire, comme modèle à revendiquer. Tout le monde a entériné sans la moindre mise en doute cette idée des enfants fatigués par l’école (pas d’évocation des heures passées devant la télévision ?), et on a ainsi abouti à la diminution et la déréglementation des horaires, donc des programmes qui cessaient d’être nationaux. On vous parle avec des trémolos de l’école qui risque de devenir à deux vitesses : mais elle ne risque pas, elle est ! et sur décision ministérielle bien précise, cela s’appelle le Nouveau contrat pour l’école ! Qu’est-ce que ces indignations vertueuses de certains sociologues de l’éducation, qui n’en cherchent pas les causes réglementaires ?
Puis Allègre vint
… et à sa suite Lang. Différents de comportement, ils sont à mettre ensemble car ils poursuivent la même politique, qui n’est que la suite et aggravation de celle du prédécesseur Bayrou : poursuite de la déréglementation, de l’appauvrissement des programmes, les orateurs suivants en parleront plus en détail, ils préciseront les “ parcours diversifiés ”, qui font croire que l’on pourrait faire du travail interdisciplinaire en ne connaissant que très mal les disciplines à mettre ensemble.
Comme les mesures de Bayrou ont produit beaucoup de dégâts sur les élèves, il “ fallait ” en tenir compte, adapter l’organisation et les programmes du lycée à ce que sont devenus les élèves passés par là, cela a été l’occasion d’encore diminuer les horaires de cours. L’important étant de cacher et de distraire, Allègre a inventé l’ECJS, éducation civique, juridique et sociale. Comme on est bien obligé de constater les difficultés des élèves, leur désintérêt fabriqué de longue date par les effets de la loi de 1989, Allègre a poursuivi la déréglementation-Bayrou en enlevant des heures de cours, non compensées par l’aide au travail personnel. La ligne directrice est bien la même : déstructuration des programmes et du cadre de la classe, diminution des horaires consacrés aux cadres stables, avec l’excuse que les élèves sont fatigués. Il est vrai que quand on a mal appris à lire et à écrire, quand on n’a aucune notion de calcul mental, le moindre travail scolaire devient extrêmement fatigant. Ajoutons qu’il est socialement incorrect de demander le nombre d’heures passées par les élèves devant la télévision ou en sorties nocturnes, alors que les publicitaires qui soignent leurs clips ciblant les enfants et les jeunes, eux, ils l’étudient soigneusement, en témoigne un rapport récemment rendu par Monique Dagneau à Jack Lang (voir la bibliographie).
Donc, puisque les élèves sont en difficulté et “ s’ennuient ” en classe, dit le recteur Joutard, comme ils sont fatigués, la recommandation ministérielle accentue les dérives qui ont déjà causé ces dégâts, les nouvelles circulaires sur le collège avec les itinéraires de découverte continuent à le désagréger.
Un collègue, bon militant syndical, me racontait son entrevue avec le député de sa circonscription. Ce député arrivait avec les comptes de la nation, le budget, le nombre d’heures attribuées aux établissements, et faisait remarquer qu’il y en avait beaucoup, s’étonnant des protestations habituelles, la demande d’augmenter les moyens d’enseignement. Question légitimement posée par un élu de la part des citoyens contribuables. Mon collègue avait fait le calcul des heures de cours proprement dits, et des heures diverses consommées en soutien, rattrapage, clubs, parcours, itinéraires et autres, le total faisait apparaître un maintien ou une légère augmentation. Alors, d’où vient ce sentiment de n’avoir jamais assez d’heures pour faire son travail ? La réponse est finalement assez simple : ces heures, payées sur le budget de la nation, sont de moins en moins utilisées pour faire des cours, et sont détournées en gadgets, itinéraires de découverte, etc., qui accroissent les difficultés qu’elles prétendaient résoudre. Le tonneau des Danaïdes.
C’est pourquoi il faut exiger non pas des moyens pour appliquer ces réformes, mais au contraire leur abrogation.
Le 6 avril 2002
Notes
[1] Les élèves en difficulté à l’école primaire y restaient en CM1 jusqu’à 14 ans, puis entraient au collège en CPPN.
[2] C’était le cas au moment de l’écriture de ce texte.