Editorial.
Une grève à l’Université ne dérange personne. Sauf lorsque sa durée met en cause la fonction à laquelle divers gouvernements successifs ont depuis très longtemps réduit l’Université, et l’école en général : tamponner des diplômes. Xavier Darcos et Valérie Pécresse ont d’abord choisi de traiter cette grève par l’arrogance et le mépris. Le gouvernement a sans doute pensé que ce mouvement se prolongerait de toute façon jusqu’au 19 mars, jour de la grève générale organisée par les syndicats et s’effilocherait par la suite. Mais ce délai est désormais passé depuis longtemps et le mouvement ne cesse pas. La grève, la vraie grève, celle qui dérange, a donc commencé le 20 mars. Les 7 semaines de grève antérieures à cette date peuvent être considérées comme une simple « mise en bouche » – ou comme un « tour de piste d’échauffement » si l’on préfère la métaphore sportive à la métaphore gastronomique.
Xavier Darcos a donc publié le 20 mars une Lettre aux syndicats qui contenait une concession majeure : les concours de la session 2010 seraient semblables à ceux de la session 2009. Le Ministère mettait par ailleurs en place une Commission de concertation et de suivi sur la réforme dite de la « mastérisation des concours ». Reconstruire l’Ecole publia alors un Communiqué de presse se félicitant du report de la réforme et soulignant les différents points sur lesquels devait porter la négociation à venir. Las! Dans une déclaration à France-Inter, le Ministre détruisait lui-même quelques jours plus tard les espoirs que sa missive avait pu susciter. En annonçant des concours en début de la deuxième année de master, Xavier Darcos ne faisait pas seulement la proposition la plus aberrante de toutes celles qui avaient circulé auparavant. Il montrait aussi qu’il préemptait les résultats de la Commission à venir en maintenant intacte la logique prévue pour la « mastérisation ». Rien de nouveau donc. Un simple recul tactique imposé par les circonstances : les nouveaux concours ne pouvaient de toute façon pas avoir lieu à la session 2010 puisque les Universités ont refusé de faire « remonter les maquettes ».
Pire encore : L’AERES, agence indépendante d’évaluation créée par Valérie Pécresse elle-même, a refusé d’examiner les quelques maquettes (dont la moitié provenaient d’Instituts catholiques privés) parvenues au Ministère. Passant outre cette décision, le Ministère a alors prétendu les faire évaluer par ses propres services. Devant ces coups de force accumulés, les rares universités qui avaient accepté de jouer le jeu des « masters d’enseignement », ont fini par retirer leurs maquettes. Défaite à plates coutures pour Xavier Darcos et Valérie Pécresse : aucun master d’enseignement ne sera mis en place à la rentrée.
De son côté Valérie Pécresse a fait passer en force pendant les vacances de printemps son décret sur le statut des enseignants-chercheurs. Sans rien changer au fond : le but est toujours de « moduler les services », c’est-à-dire d’imposer aux universitaires un alourdissement de leur charge d’enseignement. A la fin d’un texte publié sur notre site le 12 décembre, bien avant le début de la grève dans les facs (2 février), nous avions indiqué que ce projet mettrait le feu aux poudres. La suite a amplement confirmé cette prévision.Contrairement à Valérie Pécresse qui s’accroche à l’idée, désormais absurde, que les « examens auront lieu dans de bonnes conditions », François Fillon a reconnu « qu’ils ne pourront être tenus avant plusieurs mois ». Cela nous renvoie en fait à septembre. Encore faudrait-il que les cours reprennent très vite et que des rattrapages puissent être organisés. Les universitaires ont montré leur détermination : ils ne cèderont pas. La balle est désormais dans le camp du gouvernement. Peut-il se permettre de faire plus longtemps la sourde oreille? Il comptait sur le pourrissement de la grève : échec. Il comptait sur les états d’âme des universitaires, qui renonceraient à leur mouvement pour « ne pas porter préjudice aux étudiants » : échec. Si le semestre ne devait finalement pas être validé, le gouvernement en porterait l’entière responsabilité.
Mais ce n’est pas tout. Car les redoublements ont un prix que les ministres concernés connaissent fort bien : 300 000 étudiants obligés de recommencer un semestre, c’est un milliard d’euros. Le gouvernement est-il est prêt à mettre cette somme sur la table? Impossible. Les temps ne se prêtent guère à de telles fantaisies. Même en l’absence de crise, cette dépense dépasserait de très loin la marge de manoeuvre d’un gouvernement quel qu’il soit et c’est cette réalité que les appels à la « responsabilité » cherchent à occulter. Les universitaires semblent donc avoir tiré la leçon de l’échec de la grève du secondaire en 2003. Car c’est bien parce qu’ils n’avaient pas osé menacer le bac, que les professeurs avaient alors perdu – défaite dont ils ne se sont pas encore relevés. Or Luc Ferry aurait été obligé de céder – au moins sur le paiement des jours de grève – devant la perspective d’avoir à accueillir 650 000 redoublants en terminale.
Conclusion : si le gouvernement est sourd aux autres arguments, il sera très certainement sensible au poids budgétaire de son obstination. Mais le temps désormais est compté.