Sur les modalités d’action, et la grève des examens

Règlement et tactique

La question de la grève des examens se pose chaque année, et il est normal d’expliquer le passé et le règlement en vigueur aux jeunes collègues.

La rétention des notes des examens n’est pas illégale, elle est parfaitement réglementée, depuis 1967 où il y a eu une très importante grève du bac, menée à l’initiative du Snes.
La règle actuelle découle d’une jurisprudence ultérieure et relativement favorable ; citons les textes sacrés :

RLR 200-2 RETENUE DE SALAIRE

Réponse ministérielle du 28 avril 1980 (Affaires financières : bureau DAF 4) Droit de grève. Retenue sur traitement. Référence : arrêt Omont du 7 juillet 1978.

Question posée par le recteur de l’académie de Rennes : L’arrêt du Conseil d’Etat, cité en référence, stipule qu’« en cas d’absence de service fait pendant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues à opérer sur le traitement mensuel d’un agent public s’élève à autant de trentièmes qu’il y a de journées comprises du premier jour inclus au dernier jour inclus où cette absence de service fait a été constatée, même si, durant certaines de ces journées, cet agent n’avait, pour quelque cause que ce soit, aucun service à accomplir ».

La question est de savoir comment on doit interpréter l’expression « le dernier jour d’absence pour quelque cause que ce soit».Ce dernier jour est-il :1° Le dernier jour de service non fait constaté ;2° La veille du jour de reprise effective du travail.

Réponse :Les retenues pour fait de grève doivent être opérées jusqu’au jour où l’intéressé a un service à assurer et où il a été constaté que ce dernier n’a pas été effectué.(BOC no 5 du 12 juin 1980.)

En clair, pour le baccalauréat, le dernier jour où « il a été constaté que le service n’a pas été effectué », c’est le dernier jour de la session de bac, soit souvent le 7 ou 8 juillet.

Ce qui est mieux que le 8 septembre …

Voici l’aspect réglementaire, sur lequel il faut se baser.

Maintenant, il faut examiner le rapport de forces, si les collègues sont nombreux à décider ce moyen d’action ET QU’ILS S’Y TIENNENT. Car il faut bien penser que le service des examens, le SIEC pour la région parisienne, aura pour première réaction de chercher d’autres correcteurs à la place des professeurs grévistes, ou de donner double paquet de copies ou doubler le nombre d’interrogations à ceux qui sont déjà convoqués. Cette solution de rechange devient impossible si les grévistes sont très nombreux, et on arrive alors à bloquer le système.

L’expérience depuis deux ans de la lutte des professeurs de philosophie, qui ont retenu les notes du bac pendant un certain temps, montre en effet que l’action unie et massive au moment des examens fait céder le ministère, au moins momentanément, parce que le gouvernement a peur du scandale dans l’opinion publique sur le sujet sensible du bac. Cette année, au moment où des grèves et manifestations massives contre la décentralisation et la réforme des retraites se succèdent et mettent déjà le gouvernement en difficulté, la circonstance semble favorable.

Nous avons appris que certains collègues ont été réquisitionnés.
Il est utile de faire un point juridique sur les  » réquisitions « .

1. Aucune limitation légale au droit de grève ne concerne des statuts des personnels de l’Education Nationale. Seuls sont concernés par ces limitations les magistrats, la police, l’armée, la navigation aérienne, les CRS, les transmissions.

2. L’ordonnance 59-147 du 7 janvier 1959 permet de réquisitionner en  » cas de menace sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale, ou sur une fraction de la population les personnes, les biens et les services « . (art 5 et 6 de l’ordonnance en question).
Cette ordonnance de 1959 porte sur  » l’organisation générale de la défense « . Pour réquisitionner, il faut un décret en conseil des ministres, chacun des ministres prononçant ensuite la réquisition par des arrêtés ministériels. De plus, les ordres de réquisition (individuels ou collectifs) émanent du préfet.
Conclusion : A moins que le gouvernement considère que le pays est en guerre et qu’il y a menace sur une partie du territoire, les ordres de réquisition sont illégaux. Ils portent atteinte à un droit constitutionnel.

3. Il existe par contre une procédure de désignation uniquement jurisprudentielle, sans base légale et réglementaire, la jurisprudence de l’arrêt  » Dehaene  » du Conseil d’Etat.
Dehaene était un chef de bureau de l’Indre et Loire qui s’était pourvu devant le Conseil d’Etat pour contester la sanction infligée par le préfet : une suspension. Dehaene avait participé en 1948 à une grève avec d’autres chefs de bureaux qui n’avaient pas suivi l’ordre du ministre de l’Intérieur de rester à leur poste.
Depuis 1963, quand le Conseil d’Etat qui est chargé de contrôler l’usage du droit de limiter le recours à la grève a confirmé une limitation au droit de grève, il s’agissait essentiellement de fonctionnaires dont les fonctions sont indispensables à :
– la sécurité des personnes et des biens ;
– au bon fonctionnement des liaisons nécessaires avec le gouvernement ;
– ou qui sont chargés de fonctions d’autorité.

Les personnels qui relèvent de la procédure de désignation :
– les fonctionnaires d’autorité : les chefs de bureau (Arrêt du conseil d’Etat du 10/06/1977) et les chefs d’établissements (circulaire du 13/05/67) ; rappelons que les directeurs d’écoles ne sont pas des chefs d’établissements ;
– le personnel de service et technique strictement indispensable au fonctionnement matériel des services.
Conclusion : les examens, surveillances et autres ne sont pas concernés par cette procédure de désignation. Ces tâches font partie de notre travail.
Le  » travail  » des grévistes est de faire grève sur la totalité du travail.

D’ailleurs la note de service du 9/03/1989 (dans le BO n° 12 du 23/03/89) rappelle que la notation des élèves fait partie des obligations de service des personnels enseignants. L’enseignant gréviste ne peut donc pas noter : il est en grève de son service.
A l’inverse, ceux qui font cours mais ne notent pas sont considérés comme  » n’ayant pas exécuté tout ou partie des obligations de service qui s’attachent à leur fonction  » (amendement Lamassourre, art 89 de la loi 87-558 du 30/07/1987 qui réintroduit la notion de  » service non fait « ).
La sanction appliquée dans ce cas (qui s’est produit assez souvent) est la retenue d’un dixième du traitement mensuel, pour chaque mois dans le courant de l’année scolaire où se poursuit la grève des notes.

Il faut donc rappeler fermement que les enseignants ne sont pas réquisitionnables, ils ne sont pas personnels d’autorité, ni infirmiers des urgences ni contrôleurs aériens par exemple. De plus, la particularité de notre travail fait que c’est stupide de la part du ministère de penser pouvoir nous contraindre à faire un travail qui est par nature intellectuel et requiert forcément la liberté de pensée.
Supposons même que nos collègues soient amenés de force comme des malfaiteurs dans une salle d’examen ou d’interrogation : je ne vois pas comment on pourrait les contraindre à écrire, parler, interroger des candidats : ils peuvent tout simplement se taire ; la situation de contrainte rendrait immédiatement l’interrogation non réglementaire, donc susceptible de recours par le collègue correcteur contraint ou par les candidats. Les ignorants qui font ça ne connaissent pas la réglementation du bac.

Il me paraît par contre risqué de penser saboter les examens en donnant les réponses aux candidats, pour deux raisons différentes : c’est une faute professionnelle qui pour le coup serait répréhensible, n’importe quel candidat pourrait porter plainte pour fraude organisée, et il aurait raison ; et le ministère qui cherche à gonfler artificiellement les statistiques du bac serait très content de cette aide apportée – même illégalement – aux candidats ; il n’attend que ça …
Une bonne façon de répondre à la réquisition est au contraire de mettre 0 à tout le monde, et de s’y tenir en résistant aux pressions. Comme le jury (c’est-à-dire l’ensemble des correcteurs) est souverain, le président de jury n’y peut rien, sauf demander une double correction, ce qui montre de façon éclatante que la réquisition a échoué.
Si les deuxièmes correcteurs confirment le 0 – ce qui est l’usage en temps ordinaire – c’est le ministère qui sera vraiment embarrassé …
Par ailleurs, les professeurs réquisitionnés illégalement doivent déposer un recours en référé au tribunal administratif (la liste des adresses de ces tribunaux).