Comment développer l’éducation artistique et culturelle sans « charger la barque de l’école »? s’interroge François Fillon

« On a chargé la barque de l’école avec des formations dont on peut s’interroger si elles relèvent bien de l’école », souligne François Fillon, reçu par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l’éducation et de la formation artistiques aujourd’hui, mardi 17 mai 2005. Le ministre de l’Éducation nationale cite en exemple la sécurité routière, la formation aux premiers secours, la sensibilisation à l’environnement, pour laquelle il « a pris soin de veiller à ce qu’elle ne devienne pas une matière en soi », ou encore l’éducation à la nutrition, sur laquelle réfléchit actuellement le ministre de la Santé. « L’école ne peut pas supporter l’addition de toutes ces missions », résume-t-il. La discussion qui s’est engagée entre le ministre et la députée Muriel Marland-Militello (UMP, Alpes-Maritimes), qui préside la mission (L’AEF du 31/01/2005, 49870), a notamment porté sur la formation des enseignants, l’emploi du temps et les programmes.

POLITIQUE. « Contrairement à une idée reçue, notre pays est plutôt bien organisé en matière d’éducation artistique et culturelle; vu des autres pays européens, il est plutôt envié que plaint », affirme François Fillon. Évoquant la polémique sur le désengagement de l’État, le ministre estime qu’il y a confusion entre l’enseignement obligatoire, de la responsabilité du ministère de l’Éducation nationale, susceptible d’être amélioré, notamment en terme de formation des enseignants, et les initiatives multiples autour de projets qui s’ajoutent à l’effort de l’État, et qui créent une inégalité territoriale. François Fillon assimile le plan Lang-Tasca, qui a créé les classes à PAC (projet artistique et culturel), à de la « gesticulation médiatique ». Selon le ministre, le plan pour l’éducation artistique et culturelle initié en janvier 2005 (L’AEF du 03/01/2005, 49051) a pour but de relancer le travail de terrain, par une concertation locale associant rectorats et DRAC (directions régionales des affaires culturelles).

PROGRAMMES. La définition du socle commun des connaissances et compétences dans la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (L’AEF du 02/05/2005, 52673) « n’enferme pas dans des cloisonnements étanches les différentes disciplines », souligne François Fillon; le Haut conseil de l’éducation a pour mission de définir le socle année par année, cycle par cycle. Si l’éducation artistique n’a pas été intégrée au socle, c’est parce que la maîtrise du socle implique le passage dans le cycle suivant, et un élève ne peut pas être pénalisé parce qu’il ne maîtrise pas, par exemple, certaines notions artistiques ou certains gestes sportifs. « Dans l’actuel canevas des programmes très chargé, ne serait-il pas possible de former les enseignants des matières obligatoires à leur dimension artistique? », demande la députée. « Nous allons devoir revisiter les programmes », acquiesce le ministre. Il faut alléger les programmes, donner plus de liberté à l’enseignant dans leur mise en oeuvre, estime-t-il.

EMPLOI DU TEMPS. Répondant à la proposition d’alléger l’emploi du temps des élèves pour affecter une partie de l’après-midi à des activités au choix des élèves, François Fillon estime qu’il faudrait dans ce cas faire commencer la journée à cinq heures du matin. Il aurait souhaité pouvoir réduire le volume horaire des cours, mais il rapporte ne rencontrer aucun soutien au sein de la communauté éducative, pas plus du côté des syndicats enseignants que des fédérations de parents d’élèves ou des organisations lycéennes. Les tentatives d’allégement des rythmes scolaires ont systématiquement rencontré l’hostilité des parents, qui veulent que leurs enfants soient pris en charge de 7h30 à 18h dans des conditions de sécurité maximale. De plus, le développement d’activités périscolaires est une charge lourde à assumer en termes budgétaires par les collectivités locales chargées de les organiser.

FORMATION. En ce qui concerne la formation des enseignants, François Fillon souligne que les IUFM sont libres de gérer leur budget. Il est donc nécessaire de définir un cahier des charges: « Il n’est pas normal que l’État ne définisse pas avec précision ce qu’il attend de la formation des enseignants. » Le Haut conseil de l’éducation va rédiger un projet de cahier des charges, en application de la loi d’orientation (L’AEF du 25/03/2005, 51607). Ce sont les universités, une fois qu’elles auront intégré les IUFM, qui devront garantir la qualité de la formation des enseignants. Le ministre souligne par ailleurs que les enseignants sont encouragés à acquérir une certification complémentaire en éducation artistique pour pallier leur manque de polyvalence.

INFORMATION. Répondant à Muriel Marland-Millitello, François Fillon reconnaît qu’il y a un effort à faire pour mieux informer les enseignants des possibilités de développement de projets artistiques hors enseignement obligatoire. « Nous donnerons suite à cette remarque », assure-t-il. Un site internet Éducation nationale / Culture sera mise en place en septembre, annonce François Fillon. Il estime également utile que l’éducation artistique et culturelle soit intégrée au projet d’établissement qui sera contractualisé avec le rectorat, comme le stipule la loi d’orientation. Alors que la député juge nécessaire que les enseignants puissent être aidés à monter des dossiers de demande de subventions européennes, comme les régions le font en Italie, le ministre lui répond que les DARIC (délégations académiques aux relations internationales et à la coopération) ont cette fonction en France, mais reconnaît qu’elle n’est pas connue des intéressés.

FILIÈRES. Alors que la députée souligne la possibilité pour les jeunes Italiens de choisir une voie de formation au lycée spécifiquement dédiée aux métiers d’arts, François Fillon évoque la possibilité que les lycées des métiers puissent intégrer ce type de filières. Il souligne que certains lycées professionnels forment déjà aux métiers de l’artisanat d’art.

TÉLÉVISION. Il y a un vrai travail à faire pour que la télévision, « vecteur principal de la diffusion artistique et culturelle pour une grande partie de la population », assume son rôle en matière d’éducation, et pas seulement les chaînes de service public, estime le ministre, qui assure avoir ouvert des discussions « discrètes » avec les responsables de chaînes.

Communiqué de presse de l’APAP, Association des Professeurs d’Arts Plastiques et de l’APEMU, Association des Professeurs d’Education Musicale,
le 24 mai 2005

Décharger les disciplines d’enseignement artistique de la barque de l’Ecole semble être la réponse du ministre de l’Education nationale à sa propre question :« Comment développer l’éducation artistique et culturelle sans charger la barque de l’école ?» (AEF du 17 mai 2005).

L’APAP et l’APEMU constatent que leurs inquiétudes, quant au maintien obligatoire de l’enseignement des arts plastiques et éducation musicale au sein de l’Ecole, sont justifiées par les récentes déclarations du ministre M. Fillon lors de l’entretien du 17 mai avec la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l’éducation et de la formation artistiques.

Si le ministre a confirmé « qu’il y a confusion entre l’enseignement obligatoire, de la responsabilité du ministère de l’Éducation nationale, (?) et les initiatives multiples autour de projets qui s’ajoutent à l’effort de l’État, et qui créent une inégalité territoriale » il persiste néanmoins en instituant au c½ur de la loi (article L-312-8) le dispositif d’ « éducation artistique et culturelle » qui organise cette confusion. Le ministre estime « utile que l’éducation artistique et culturelle soit intégrée au projet d’établissement qui sera contractualisé avec le rectorat, comme le stipule la loi d’orientation ».

Intégrées désormais à « l’éducation artistique et culturelle » qui englobe toutes les actions à l’intérieur et à l’extérieur de l’Ecole, les disciplines artistiques deviennent une composante en concurrence avec toutes les activités locales gérées par les collectivités territoriales. Dénaturés, disqualifiés, les arts plastiques et l’éducation musicale ne peuvent plus, dans ce cadre, être considérés comme des disciplines fondamentales indispensables pour la formation de base des élèves.

Ainsi, leur exclusion du socle commun a été justifiée par le ministre lui-même : « Si l’éducation artistique n’a pas été intégrée au socle, c’est parce que la maîtrise du socle implique le passage dans le cycle suivant, et un élève ne peut pas être pénalisé parce qu’il ne maîtrise pas, par exemple, certaines notions artistiques ou certains gestes sportifs ».

La suppression des disciplines artistiques comme enseignements obligatoires pourrait s’enclencher dès la rentrée prochaine au vu de la circulaire de rentrée (BO n°18 du 15 mai 2005) qui prévoit l’articulation de l’action éducative et de la politique de la Ville par le biais du projet éducatif local où tout est confondu entre temps scolaire et extrascolaire. Pour la nouvelle classe de 3e, des conventions entre établissements sont annoncées pour les enseignements artistiques ainsi qu’en SVT et technologie. Ces enseignements ne seraient-ils plus présents dans tous les collèges ?

Une expérimentation, portant notamment sur l’enseignement des disciplines et la coopération avec les partenaires du système éducatif, étant également prévue par la loi (L-401-1), il est à craindre que, dès la rentrée prochaine, certains élèves devront se contenter de l’animation locale retenue par le projet d’école ou d’établissement dans le cadre du projet éducatif local.

Cette disparition s’organise visiblement dans la maquette du brevet des collèges 2006 où les disciplines arts plastiques et l’éducation musicale quittent le cadre de l’obligatoire pour celui du facultatif et se retrouvent en concurrence entre elles et avec des options de langues vivantes et anciennes et le dispositif, qui n’est pas une discipline, de « découverte professionnelle ».

Nous dénonçons également le nouvel arrêté du concours de recrutement des professeurs des écoles dont les modalités et la mise en concurrence avec la « littérature de jeunesse », dispositif en partenariat avec l’industrie du livre, annoncent la disparition des disciplines artistiques de la formation des professeurs des écoles.

Quant aux certifications complémentaires pour pallier le manque de polyvalence des enseignants nous savons ce qu’il en est de cette qualification au rabais: une demi-heure d’entretien au niveau rectoral pour valider des acquis ne saurait se comparer aux 5 années de formation pour le CAPES.

Nous maintenons notre appel à tous les défenseurs de l’Ecole publique pour exiger le respect de l’enseignement obligatoire des arts plastiques et de l’éducation musicale à l’école et dispensé par des professeurs qualifiés au niveau CAPES et agrégation pour tous les élèves de collège ainsi que la prise en compte obligatoire au brevet des résultats distincts des arts plastiques et de l’éducation musicale.

Le dispositif d’« éducation artistique et culturelle » engagé progressivement depuis des années, notamment par le plan quinquennal de Lang, doit être retiré de l’Ecole car, placé en concurrence et non en complémentarité comme nous pourrions le souhaiter, il déréglemente l’institution scolaire et aboutit à sa privatisation.